Août 2022
Avant de poursuivre notre opus brésilien, un crochet par le Paraguay s’impose. Nous souhaitons voir les missions non loin d’Encarnacion. Une grève des transports paralyse le pays, nous empêche de partir en balade et de rejoindre la capitale, avant qu’une ordonnance du président débloque la situation. Si l’efficacité est maximale, est-ce la bonne méthode ? Nous profitons de ces quelques jours pour nous reposer et découvrir les rares spécialités culinaires du pays (vorívorí, sopa paraguaya, empanadas, chipa guazu, mbeyú). Ce n’est pas encore ici que les gastronomes sauteront au plafond ! Arrivés à Asunción, nous comprenons très vite que le centre est craignos à la nuit tombée et qu’« il n’y a absolument rien à faire, et c’est ça qui est bon » me whatsappe Tristan. Quand le petit Hard Rock Café devient un vrai lieu de visite, c’est qu’on est presqu’au fond du trou ! Nous marchons beaucoup dans cette capitale qui ressemble à une ville de province en souffrance. Les rues et trottoirs sont défoncés, les ordures jonchent le sol, les lieux de sociabilité sont peu nombreux. Ce sont les habitants qui, aidés de leurs thermos pour le maté ou le tereré (du yerba maté froid) ou de leurs barbecues sortis en plein centre de la ville, qu’il est le plus intéressant d’observer. « Archi populaire » rajoute l’ami qui aurait très bien pu citer cette phrase de Manu Chao : « tous les globe-trotters du monde le savent, c’est dans les rues qu’ils se frottent à l’identité d’un pays, tant esthétique que politique, tant mystique qu’économique ». Ainsi, les quelques lieux d’intérêt (le marché traditionnel, la gare ferroviaire avec la plus vieille locomotive à vapeur d’Amérique du sud, le bord de mer…) sont absorbés très rapidement tout comme le quartier bohême de San Jeronimo. Nous subissons un nouvel échec : Maghnia se réjouissait de revoir Antonella, sa colocatrice à Cambridge, fille d’un grand industriel. Nous ne verrons d’elle que les litres de lessive de son père dans les supermarchés de la ville. La vilaine nous a fait faux bond ! Le musée del Barro, qui propose une belle collection indigène, notamment des objets des Guaranis, nous sauve tout juste d’une nouvelle journée d’en ennui mortel. La culture indigène a d’ailleurs toute sa place dans le pays, et sa langue est officielle. Repartons donc dare-dare pour le Brésil ! À la frontière en direction du Mato Grosso do Sul, un douanier nous fait une petite frayeur : la douane argentine ne nous ayant pas tamponné notre passeport, nous sommes sortis de manière illicite du territoire. Croisons les doigts lorsqu’il faudra quitter le territoire…
Le Pantanal offre deux portes d’entrée : le nord via Cuiaba, le sud par Campo Grande. Dans le nord, les prix frisant le ridicule(, nous choisissons la partie sud de la plus grande zone humide de la planète. Gil, un ancien professionnel de football, nous propose (trois nuits à Passo da Lontra dans un hôtel posé au bord d’une rivière. Le Jungle Lodge se révèle un très bon choix et nous permet de faire la connaissance d’une trilogie latine grandement appréciée (Nathan le paulista, Jacopon le milanais, Jorge le barcelonais). Pour les amoureux de la nature, ces quatre jours seraient magiques. De jour, à bord d’un canoé ou depuis de petits bateaux, nous observons loutres géantes, greater rhea, toucans, échassiers, cigognes, caracas, jabiru d’Amérique, geais acahe, aras bleus, cerfs des marais, iguanes verts, loutres de rivière, singes hurleurs, d’incalculables oiseaux perroquets, caïmans et j’en passe. De nuit, les chauves-souris survolent le fleuve avant que notre guide Max ne nous montre un superbe ocelot. Les journées sont rythmées par de succulents repas et des activités comme cette balade à cheval sur les terres d’une fazenda (grande propriété agricole) en compagnie de Ramòn, véritable cow-boy. Un après-midi sur le fleuve, Max nous distribue des bouées-frites pour qu’on rentre à la nage. Il nous demande de rester au centre d’une rivière pas très large. Rassurés par les mots de notre guide (les caïmans n’attaquent pas l’homme, les anacondas chassent en eaux peu profondes), un peu moins par les sauriens qui plongent dans l’eau lorsqu’on passe dans leur champ de vision, l’expérience est inoubliable ! Si tout est presque parfait, nous n’avons toujours pas vu le seigneur des lieux, le jaguar. Nous partons vers Corumba à la frontière bolivienne pour un vrai coup dans l’eau avant de revenir sur Passo da Lontra tout penauds, pour deux jours qui nous coûtent les yeux de la tête. Les neuf heures de bateau avec Toni sont notre dernière chance... Vers midi, voilà enfin, bien que furtivement, un magnifique jaguar mâle ; cerise sur le gâteau d’un Pantanal parfait pour les amoureux de la pêche !
Après un trajet interminable de deux jours, nous sommes à l’intérieur du Theatro Amazonas de Manaus, l’un de mes rêves de gosse depuis le visionnage du Fitzcarraldo de Werner Herzog. Un opéra au « cœur » de la jungle ! Du haut d’un mirador au Musée de l’Amazonie, on se rend compte de cet océan vert qui encercle la ville. De l’âge d’or du caoutchouc (fin XIXème), il reste un vaste port situé à 1.500 kilomètres et quatre jours de bateau des côtes (Bélem). Si la cité est à notre grande surprise assez agréable, nous sommes ici pour l’Amazonie. À l’est de la ville, nous avons la chance de voir les dauphins gris qui habitent à la rencontre des eaux noires du Rio Negro et des eaux marrons et boueuses du Rio Solimōes. C’est à la « rencontre des eaux » que ces deux affluents forment le fleuve Amazone, le fleuve de tous les superlatifs. Le fleuve draine 40% du continent et représente 1/5ème du débit du débit fluvial de la planète. On comprend aisément que les indigènes le surnomment « le fleuve mer » ou « océan » ! Nous rejoignons le lac Mamori pour quatre jours en compagnie de notre guide indigène (Baby), son interprète nigérian (Franky) et de quelques voyageurs stupides qui ne nous aiment pas… C’est réciproque ! Quel intérêt y-a-t-il à toucher les animaux sauvages, sortir un caïman de l’eau et déloger un paresseux de son arbre pour prendre une photo ou chasser une espèce protégée ? Baby nous apprend à pêcher des piranhas avant d’observer les beaux dauphins roses de l’Amazonie (boto). Les indigènes de la région croient qu’ils se transforment en hommes ou en femmes pour charmer le sexe opposé. En soirée, nous dormirons tant bien que mal dans une famille qui vit, nous le comprendrons, de braconnage ! Le maître des lieux nous sort ses peaux de tatous, fourmiliers, d’un anaconda long de six mètres, et nous raconte ses « exploits ». Lorsque le braconnier ou Baby content Le livre de la jungle, Franky s’exclame « Caramba » à tour de bras ! À la vue d’un habitat de fortune, comment juger sévèrement son activité répréhensible et douteuse ? À la levée du jour, nous assistons à l’affrontement de la lune et du soleil. Au retour d’une balade dans la jungle, les deux guides s’engueulent, Baby reprochant à Franky de nous avoir emmené dans la jungle par un temps pluvieux, celui qui fait quitter de mortels serpents de leurs arbres pour fuir le froid et rejoindre le sol… Le soir même, nous voilà à dormir dans un campement de jungle. Nuit courte et difficile, mais inoubliable. Je m’imagine incapable de survire dans cet enfer vert, et me remémore cette BD de Dany et Jean Van Hamme (Histoire sans héros) ou ces séries B voire Z (Anaconda – L. Llosa –, Cannibal Holocaust – R. Deodato –) par exemple. Notre dernière expérience de l’Amazonie est magique. Par un pur hasard, nous voilà à nager face à la monstruopole à quelques coudées de tucuxi, des cétacés qui vivent dans le bassin de l’Amazone.
La pousada de Lucia, idéalement située au cœur du quartier historique de Pelourinho, est un parfait camp de base pour explorer Salvador de Bahia, la fascinante ville de Jorge Amado. On y croise des descendants d’esclaves de la Traite Atlantique, de Bouche Dorée (Rendez-vous à Bahia, H. Pratt) et des cultes syncrétistes afro-brésiliens comme le candomblé. Dans une macumba, les fidèles entrent en transe guidés par la présence de divinités orixás comme Ogun Ferraille. Du pop-corn est jeté pour purifier les fidèles. « Saravá ! (1) » aurait certainement prononcé Corto le maltais ! On y croise aussi mon amie Cintia, de retour au pays, qui nous montre le quartier de Barra. Avant d’essayer la samba à Ipanema, Maghnia se met à la capoeira. Le ballet folklorique de Salvador nous démontre que la ville est profondément liée aux traditions et rites afro-brésiliens. On y découvre la dance des pêcheurs, la maculelê, une samba de roda ! Salvador navigue avec bonheur entre ses racines européennes (carnaval), sa contre-culture afro-américaine faite de danses et de musiques rythmées par les batucadas. On adore !
De retour à Rio, nous passons par toutes les émotions, entre angoisse (à l’hôpital) et moments de bonheur. Nous découvrons l’étonnante Petrópolis, la ville du très libéral empereur Pedro II. Elle célèbre ses racines allemandes avec ses très nombreuses micro brasseries, ses saucisses et ses costumes digne de la Saxe profonde. C’est en quelque sorte l’Oktoberfest au Brésil, quelle claque ! Pour l’anniversaire de ma belle, une petite randonnée dans la favela de Vidigal fait suite à de puissantes sensations avec un saut en parachute à 11.000 pieds… Sensations tellement fortes que j’en perds connaissance ! Nous fêtons la fin de cet été extraordinaire au sommet du Pāo de Açucar… C’est la cerise sur un gâteau brioché sucré pour une fin de toute beauté !
(1) Salut des esclaves
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