Juillet 2018
Je rallie illico-presto l'aéroport de Marseille pour rejoindre Istanbul au petit matin. Le morning tea avec Maghnia ne peut plus attendre! Me voici donc une nouvelle fois sur les rives du Bosphore dans le quartier de Sirkeci. Dès nos premiers pas, nous sommes heurtés par la figure omniprésente du leader, devenu élection après élection, suprême. Les affiches « Tesekkeler Istanbul » (« Merci Istanbul ») ne trompent pas: l'homme providentiel de la Turquie c'est Recep Erdogan, adulé au lendemain des élections présidentielles. L'absolutisme semble En Marche! Flâner dans Istanbul, c'est remonter le temps. Dans l'ancienne Constantinople bien sûr. Dans nos souvenirs littéraires de jeunesse avec Agatha Christie, car notre hôtel est à deux pas du quai d'où partait l'Orient-Express et du fameux Pera Palace situé à quelques mètres de l'avenue Istiklal à Beyoğlu. Construit pour ses voyageurs, la Dame y avait ses quartiers et y aurait écrit le roman chambre 411. Le Palace est un lieu unique pour un thé dansant. De Mata-Hari au Chah d'Iran en passant par Tito, Greta Garbo, Sarah Bernhardt et Joséphine Baker, le gratin de l'époque s'y retrouvait. Nous escaladons la tour de Galata construite par les Génois en 1348. La très belle vue porte notre regard jusqu'à la tour de Léandre, devenue célèbre grâce à mon James Bond à moi (Le monde ne suffit pas), ou au-delà de la Corne d'Or, cet estuaire autrefois aménagé par les colons grecs pour former Byzance.
Se balader dans l'ancienne Constantinople est toujours un honneur. La nouvelle Rome fourmille de bijoux antiques (la citerne basilique, les murailles de Théodose), modernes (les mosquées ottomanes), contemporains (Dolmabahçe). « Constantinople surpasse autant les autres villes que Rome la surpasse » pouvait-on ainsi lire dans la Souda, une encyclopédie grecque de la fin du Xème siècle. Nous voici dans la « citerne enfouie sous terre » construite en 527 par le Palais impérial byzantin à la recherche de la statue de Méduse, petite-fille de Gaia. Selon la légende, Persée décapita la Gorgone qui pétrifiait chaque mortel qui la regardait dans les yeux. Sortie des entrailles d'Inferno, nous rejoignons le quartier musulman d'Eyüp visiter la mosquée Eyüp Sultan, sanctuaire en l'honneur d'Abu Ayyub al-Absar, compagnon du Prophète tombé lors du premier siège de Constantinople. Plus haut, la vue de la fin de la Corne d'Or depuis le café Pierre Loti est splendide, la discussion avec Bilal, jeune palestinien, également.
C'est soir de demi-finale! Après le match enflammé par nos discussions avec Kili, fan d'Erdogan, nous longeons le Bosphore depuis la partie roumélote. Des ouvriers bétonne la rive, on y voit rien., je m'enfonçe dans le béton jusqu'au genou! Le spot est idéal pour un lever de soleil sur la mégapole et la rive anatolienne. C'est magique! Notre hôtel est idéalement situé, non loin d'Hagia Sofia (Sainte-Sophie) et de Sultanahmet Camii (Mosquée bleue) qui irradient de leur beauté une place ombragée parfaite pour boire le çay (thé) mais aussi de la « La Sublime porte », lieu de gouvernance du grand vizir ottoman. C'est ici que sous le règne de Soliman le Magnifique, l'Empire multinational et multilingue dominait d'immenses territoires (Europe du Sud-Est, Asie occidentale, Caucase, Afrique du Nord, Corne de l'Afrique). Il est temps d'apprécier la grandeur de Dolmabahçe, le palais du sultan Abdülmecid (XIXème siècle). A l'image de son « escalier de cristal », il est monumental. Au milieu du grand salon de cérémonie, voici le plus grand lustre en cristal de Bohême du monde avec ses 4,5 tonnes. Cristal de Bohême et de Baccarat, tapis en peu d'ours, décoration baroque, roccoco et néoclassique, le palais regardait vers l'Occident tout en étalant la richesse d'un Empire richissime et puissant.
Notre hôtel est également à deux pas du Grand bazar ou du Bazar égyptien. Nous voici devant la mosquée Süleymaniye conçue pour Soliman le Magnifique. 7 ans d'efforts pour un résultat somptueux. A ses côtés, les tombeaux de Soliman et son épouse Roxelane. De retour à Sirkeci, nous assistons au spectacle ésotérique envoûtant des derviches tourneurs. Ma sœur Fanchon qui m'écrira par message « j'ai jamais compris leur délire! » a le droit à une explication, sacrebleu! L'ordre ascétique des Mevlevi fondé en 1273 à Konya a essaimé dans tout l'Empire ottoman. Ces Alévis de tradition soufie tournent au son de l'ayi, une composition instrumentale et vocale jouée par un luth et des instrument perses (flûte, daf). Avec lenteur, ces musulmans orthodoxes proches des Bektachis circumambulent pour symboliser les âmes errantes puis la fin de l'illusion et la résurrection. Les mains droites tournées vers le ciel (pour récolter la grâce de dieu) et gauche vers le sol (pour la dispenser aux hommes), leur danse giratoire représente les lois de l'Univers et les astres tournant autour du soleil.
Nos après-midi sont ponctuées de balades musicales sur Istiklal et de puddings onctueux dans l'un des cafés Hafiz Mustafa, institution stambouliote par excellence. Ah, Istanbul c'était Byzance! C'est donc avec une pointe de nostalgie que nous continuerons notre périple à travers la Turquie. Adieu salon de thé ottoman... Nous attendons à présent les pide ou gozleme avec impatience! Adieu Istanbul et en route vers mes rêves de jeunesse (Pamukkale et la Cappadoce)!
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