Petits moments de voyage, ces chroniques urbaines nous emmènent à travers le monde, de l’Orient aux Amériques en passant par l’Afrique. Métropoles mondiales ou régionales, bourgades mythiques ou villes cauchemardesques, nous vous embarquons donc sur les traces d’un tourisme urbain bien souvent jouissif ! Population urbaine mondiale en forte hausse (70% en 2050), ce tourisme est d’ores et déjà en pleine (r)évolution !
Carnets d'Orient
La route qui descend à Wadi Musa (Pétra) me propose un arrêt à Damas. Loin est Beyrouth, car la capitale syrienne est une ville typiquement arabe avec ses mosquées et un souk somptueux, traditionnel, énergique, actif. Autre chose que celui pompeux et aseptisé d'« Arnakech » ! Pour profiter pleinement du royaume hachémite, je délaisserai un moment Damas, ses jus de mûres et ses très nombreux portraits de Bachar el-Assad et son frère, pour la cité antique de Bosra qui semble hors du temps. Ses ruelles forment un labyrinthe de pierre délaissé par les touristes. Quelques familles vivent dans ce haut lieu de civilisations disparues, qui parfois, à l'occasion de fortes pluies vomissent des pièces d'une valeur (in)estimable... Le site révèle des trésors romains, nabatéens, ottomans et notamment un théâtre de neuf-milles places enlacé par une énorme citadelle mamelouk... Je suis absolument seul, presque seul au monde. Flâner dans le vieux Damas, son quartier chrétien, assister au spectacle hypnotique de la prière dans la magnifique mosquée omeyyade qui renferme les mausolées de Salah ad-Din (Saladin) et d'Hussein fils d'Ali me procure un plaisir immense. Point à Palmyre... Et pourtant, que c'est beau ! Suis-je devenu difficile ? Au spectacle des ruines, je préfère celui de la nature. Un instant, j'ai pourtant pensé dire : Palmyre c'est superbe ! Car la tâche d'un voyageur n'est pas de détruire les rêves et les légendes mais de les créer : « La réalité c'est la monnaie de ceux qui ne savent pas mentir », écrivait Dorgelès !
À Amman, je me lie d'amitié avec Alex qui parle le tagalog (la langue principale des Philippines bien sûr !) et un arabe parfait, et travaille là où je réside. Elle me guide à Balad, le centre-ville d'une capitale où l'on s'ennuie très vite, veut me présenter à ses amies lorsque, à peine 2 minutes après être arrivé chez elle, une vieille alertée par deux jeunes qui tiennent le mur me fout violemment dehors et la traite de tous les noms... De retour à l'hostel, son manager me questionne et menace de la mettre à la porte ! Avec leurs salaires de misère, ces Philippines me rappellent la femme de chambre éthiopienne de Beyrouth : l'esclavage vit assurément des moments fastes et, pardonnez l'horrible expression presque de circonstance, chacun à son « Arabe » corvéable à merci !
Beyrouth construit à tout va ; les prix de l'immobilier étant exorbitants, beaucoup de gens rasent leurs maisons ou petits immeubles pour investir dans des buildings. C'est ce que les Libanais appellent la phase « high-density » de la capitale. On ne trouve rien à moins de 300.000, les appartements atteignent vite le million, les hôtels sont ridiculeusement chers alors que le salaire de base est d'environ 300 dollars... Soyons honnêtes, la ville n'est vraiment pas belle mais fort intéressante et donc en pleine expansion. ll faut dire qu'il y a de l'argent au Liban, beaucoup d’argent. C’est celui, en partie, d'une diaspora chrétienne puissante (mais qui n'a pas le droit de vote) et bien plus importante que les 4 millions d'habitants du pays. La journée, je me balade dans les quartiers de Hamra, sur la Corniche, dans un Downtown reconstruit à l'identique mais avec des boutiques de luxe sans âmes, à Deir el-Kamar (« Le couvent de la Lune ») dans le Chouf, au Centre culturel français, place des Martyrs ou dans le mémorial Rafik Hariri. Partout, la présence massive de chez massive de soldats et des chars à même la ville me choque. On en compte presque autant que ces endroits où l'on fume le tabamel - du narguileh -, ce mélange délicieusement toxique de tabac fermenté, mélasse et pulpe de fruits. Ici, tout ou presque ramène tristement à la guerre. Les marques des conflits sont, en effet, TRÈS présentes dans la ville, notamment dans les quartiers pauvres palestiniens de Sabra et Chatila - l'un des 3 « camps » de réfugiés - où les traces de balles sur les murs font froid dans le dos. Elles rappellent l'histoire du massacre de centaines de civils par les sbires de cet enfoiré d'Ariel Sharon, aidé par les Phalanges chrétiennes. Le Sud Beyrouth serait le quartier du Hezbollah chiite qui se démarque de sa filiation originelle, et affirme se « libaniser ». Il faut dire que la question de l'identité libanaise est centrale : l’arabité linguistique, la phénicité, l’autonomie politique et la francophonie sont les seuls garants de celle-ci. Thomas m'emmène à la Centrale, un bar cylindrique original, et me passe les clefs du superbe appart' d'Ashrafieh de sa sœur. Je m'en vais jeter un œil à Gemmayzeh pour voir de mes propres yeux que Beyrouth c'est tous les soirs la grosse fiesta ; la jeunesse semble vouloir oublier les longues années où ses voisins lui ont fait tant de misères. Beaucoup de jeunes parlent un TRÈS bon français qu'ils comprennent parfaitement et un excellent anglais qui ferait pâlir les Latins que nous sommes. Dernière nuit à Beyrouth : le taxi qui m'amène à l'aéroport est tendu. Des véhicules militaires et des chars foncent vers le lieu d'affrontements sanglants qui ont lieu entre militants du Hezbollah et du Ahbach, 2 groupes chiites, pendant que mon chauffeur évite certaines routes par peur des tirs. La journée, j'entends une explosion si près de l'endroit où je me balade...
La figure d’Atatürk, le père de la Nation, domine la place Taksim, l’immense drapeau turc également, partout, omniprésent. Nous voici donc une nouvelle fois sur les rives du Bosphore dans le quartier de Sirkeci. Flâner dans Istanbul, c'est remonter le temps, c'est toujours un honneur. La nouvelle Rome fourmille de bijoux antiques (la citerne basilique, les murailles de Théodose), modernes (les mosquées ottomanes), contemporains (Dolmabahçe). « Constantinople surpasse autant les autres villes que Rome la surpasse » pouvait-on ainsi lire dans la Souda, une encyclopédie grecque de la fin du Xème siècle. Nous voici dans la « citerne enfouie sous terre » construite en 527 par le Palais impérial byzantin à la recherche de la statue de Méduse, petite-fille de Gaia. Selon la légende, Persée décapita la Gorgone qui pétrifiait chaque mortel qui la regardait dans les yeux. Sortie des entrailles d'Inferno, nous rejoignons le quartier musulman d'Eyüp visiter la mosquée Eyüp Sultan, sanctuaire en l'honneur d'Abu Ayyub al-Absar, compagnon du Prophète tombé lors du premier siège de Constantinople. Le soir, la musique live est presque partout autour de l’artère principale que constitue Istiklal. Cette mégalopole est, disons-le, fabuleuse et envoutante. Plus haut, la vue de la fin de la Corne d'Or depuis le café Pierre Loti est splendide. Notre hôtel est idéalement situé, non loin d'Hagia Sofia (Sainte-Sophie) et de Sultanahmet Camii (Mosquée bleue) qui irradient de leur beauté une place ombragée parfaite pour boire le çay (thé) mais aussi de la « La Sublime porte », lieu de gouvernance du grand vizir ottoman. C'est ici que sous le règne de Soliman le Magnifique, l'Empire multinational et multilingue dominait d'immenses territoires (Europe du sud-est, Asie occidentale, Caucase, Afrique du nord, Corne de l'Afrique). Il est temps d'apprécier la grandeur de Dolmabahçe, le palais du sultan Abdülmecid (XIXème siècle). Àl'image de son « escalier de cristal », il est monumental. Au milieu du grand salon de cérémonie, voici le plus grand lustre en cristal de Bohême du monde avec ses 4 tonnes 5. Cristal de Bohême et de Baccarat, tapis en peu d'ours, décoration baroque, rococo et néoclassique, le palais regardait vers l'Occident tout en étalant la richesse d'un Empire richissime et puissant. Notre hôtel est également à côté du Grand Bazar ou du Bazar Égyptien. Nous voici devant la mosquée Süleymaniye conçue pour Soliman le Magnifique. Sept ans d'efforts pour un résultat somptueux. À ses côtés, les tombeaux de Soliman et son épouse Roxelane. De retour à Sirkeci, nous assistons au spectacle ésotérique envoûtant des derviches tourneurs. Nos après-midis sont ponctuées de balades musicales sur Istiklal et de rice puddings onctueux à la cannelle, au safran, à la cardamome, de loukoums et autres merveilles attendent que les Stambouilotes les dévorent. Rendez-vous ans l'un des cafés Hafiz Mustafa, institution stambouliote par excellence. Les Turkish delight d'Istanbul, c’est Byzance ! C'est donc avec une pointe de nostalgie que nous continuerons notre périple à travers la Turquie. Adieu salon de thé ottoman... Nous attendons à présent les pide ou gozleme avec impatience !
Rendez-vous est pris à Téhéran, la monstruopole d’un pays immense peuplé de 80 millions d’habitants, dans une guesthouse dégueulasse aux tarifs exorbitants. Fazlola, un vieil homme au français soutenu, nous emmène dans une mosquée qui distribue de la nourriture à la communauté irakienne pauvre de Téhéran. C'est la foire d'empoigne : ambiance frénétique, lunch box arrachées, pluie de riz dans la mosquée ! Les 2 premiers jours de notre aventure sont d’un ennui mortel, le pays étant en veille le temps des fêtes de la nouvelle année perse (Novrouz). Demandez donc à Yuri, un lettré russe au gabarit de combattant tchétchène, s'il n'est pas en déprime ! Si les Iraniens utilisent 3 différents calendriers (le calendrier lunaire pour la religion, grégorien pour les relations internationales), le calendrier solaire perse qui commence le 21 mars est une preuve du syncrétisme qui anime le pays (le calendrier persan est l’un des legs de la culture zoroastrienne). Nous n'avons pas le temps de découvrir le Kurdistan iranien situé au nord d'un pays frontalier avec la Turquie mais surtout les monts Zagros près de la frontière irakienne. C'est bien dommage car ces régions ont l'air de toute beauté. 15 jours plus tard, il est l'heure de revenir sur Téhéran et ses très grands bazars spécialisés. Fruits secs et pistaches réputées délicieuses finiront sur les tables parisiennes et marseillaises. Des pistaches iraniennes dans un emballage écrit en langue farsi qui utilise des caractères arabes, ça fera forcément toujours plaisir ! Allez, il est temps de quitter le pays de la Fraternité tellement la population est agréable et curieuse à défaut de celui de la Liberté et de l'Egalité. Vivement des prochaines vacances plus sympathiques et arrosées !
Des pyramides de savon… pas de doute, voici Alep et sa citadelle qui en impose. Immense et dans un état de conservation exceptionnel. Même constat pour le krak des chevaliers, peut-être le plus célèbre des châteaux médiévaux. Je suis bluffé par le gigantisme, stimule mon imaginaire et me replonge dans l'enfance. Peu à peu, je deviens un peu feignant et je n'ai presque plus qu'une seule envie : celle de lire. Les petits restos d'Alep me rappellent bien des pays ; on y mange dans la rue pour 3 francs 6 sous de délicieuses soupes, brochettes de foie ou kebab. C'est peut-être un reproche que je peux faire à mon pays : cette obsession de l'hygiène qui paralyse ce genre d'activité. Après Alep, où aller ? Peu importe, car Roland Dorgelès l'a si bien écrit : « Voyager c'est se rendre quelque part, mais c'est surtout partir et, le temps de la traversée, laisser derrière soi les soucis, goûter l'imprévu, rêver à loisir. Où ? Est-ce que cela importe... Le but n'importe pas. Le voyage ce n'est pas arriver : c'est partir. C'est la saveur de la journée qui s'ouvre, c'est l'imprévu de la prochaine escale, c'est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c'est la curiosité de confronter ses rêves avec le Monde, c'est demain, éternellement demain » (Partir, 1966).
Me voici à Bakou, une capitale moderne, dynamique, historique, fascinante, portuaire. Elle fait face aux steppes semi-désertiques d’un côté, à l’immense mer Caspienne intérieure de l’autre et a bénéficié du boom de l’industrie pétrolière dès le XIXème siècle. Les champs pétroliers de Bayil sont ainsi traversés par la BMW Z8 de P. Brosnan en 007 dans Le monde ne suffit pas. Tout ici n’est que sécheresse et poussière, le centre du pays traversé en train ne semble qu’une steppe monotone sans relief qui s’étend jusqu’aux sommets très élevés des plus hautes montagnes d’Europe (le Caucase). Bakou est la plus grande et cosmopolite des villes de la région. Elle marie Orient et Occident, style de vie traditionnel (les tapis et les samovars sont partout) et européen, modernisme et conservatisme, produits de luxe (sacs Louis Vuitton, cognacs Hennessy, voitures de luxe) et Lada délabrées de l’ère soviétique. L’architecture semble ainsi tiraillée entre les bâtiments ultramodernes symbolisés par les trois flammes illuminées la nuit venue ou d’autres tout aussi impressionnants (le musée du tapis, les œuvres de l’irakienne Zaha Hadid…), les vieux immeubles en pierre bien jolis et ceux de l’époque soviétique en piètre état. Bakou c’est un donc un peu de Dubaï avec infiniment plus de classe, de chaleur, de sourires, d’humanité, de tolérance, un nouveau phare de la modernité triomphante, le symbole d’un centre gravitationnel du monde qui se déplace vers l’Est, d’un Occident malade à un Orient prêt à beaucoup de sacrifices. Dans les caravansérails de la vieille ville, il est toujours si bon de boire le thé ou de déguster de bons poissons à défaut du caviar régional très réputé. Il fut un temps où l’Azerbaïdjanais produisait sans compter cet autre or noir. Les temps ont changé, les montagnes du Nord Caucase peut-être moins que cette capitale plus que charmante. Surprise magnifique que d’avoir découvert cette ville.
Après quelques heures au Caire, on se rend vite compte que l'organisation à l'égyptienne c'est quelque chose ! Cette ville me fait revivre quelques moments de mes pérégrinations indiennes. Le Caire ressemble à Delhi, à Mumbai la surpeuplée. Le bruit est partout, le trafic automobile (in-?)supportable, les feux de circulation inexistants, la pauvreté et la saleté s'étalent dans des rues où les bâtiments tombent en ruines... Le poumon du pays est étouffant. Passons, car il y a fort à faire au Caire : une balade dans le quartier copte, une visite au musée national qui, à l'image de la ville et du pays est complètement désorganisé : il ressemble à un immense entrepôt sans queue ni tête où sculptures, momies, sarcophages s'entassent sans aucun intérêt, ni pédagogie. Au milieu de ce marasme émerge pourtant le fabuleux trésor de Tout Ankh Amon et son masque funéraire qui me donne des frissons et me plonge dans l'enfance. Après le souk Khan Ali Khalili datant du XIVème siècle, on fonce vers Guizah, ville millionnaire de la banlieue d'où émerge le sphinx et surtout l'ensemble pyramidal mondialement célèbre (Khéops/Khuphu, Khéphren, Mykérinos). Absolument monumental à défaut d'être apaisant tant le nombre de cars climatisés qui vomissent des centaines de touristes est effrayant. C'est presque Disneyland. Mais nous voici partit dans les entrailles d'un colosse de pierre de 136 mètres de haut qui renfermaient, jadis, le trésor et tombeau du Pharaon : connaissez-vous la légende de la malédiction des pyramides ? La chanson de I Am qui dit que « la mort frappera sans retard ceux qui oseront troubler le sommeil éternel du pharaon (…) » ?!
Dans la cabine très classe d’un train ralliant Boukhara, nous rallions une cité mythique de la région. Nous logeons non loin de la citadelle d’Ark, au centre d’une ville charmante où le temps semble s’être arrêté. On y découvre un artisanat de grande qualité à l’image du travail de la céramique ou de l’argent, le plaisir de flâner dans des ruelles qui nous emmènent de mosquées en caravansérails, de la citadelle Ark aux sympathiques restaurants qui entourent un bassin ombragé de mûriers, cœur touristique de l’ancienne capitale samanide (IXème et Xème siècles). C’est peut-être ici que le légendaire Ibn Sina (Avicenne) puis les poètes Ferdowsi et Rudaki, grandes figures du monde perse musulman, y puisaient une once de leur inspiration. Du temps de sa splendeur, Ark - la « citadelle » - abrita plusieurs milliers de personnes. Lorsque Gengis Khan conquit la région en 1220, les habitants cherchèrent refuge dans Ark… en vain ! Le Khan ne décida d’épargner que le minaret Kalon (« grand » en tadjik), haut de 47 mètres. Nous goûtons au délicieux raviolis farcis au potiron (chuchvara) ou à la viande et à l’oignon (manty). À l’image du savoureux plov national composé de riz sauté (och) ou des brochettes de viande et de gras (chachlik), le mouton domine la gastronomie nationale. Je me régale aussi de laghmans (longues nouilles cuisinées en soupe ou sautées) avant qu’on ne s’aventure dans la visite des joyaux d’une cité qui, au XVIème siècle, compta plus de cent madrasas pour quelque 10.000 étudiants et trois cents mosquées. À Boukhara, vous trouverez la plus vieille mosquée d’Asie centrale, vestige un temple zoroastrien du Vème siècle et d’un temple bouddhique plus ancien ; jusqu’au XVIème siècle, elle aurait servi le soir de synagogue. Les Juifs boukhariotes auraient développé depuis le XIIème siècle une culture unique avec une langue, le boukhori. Liée au perse, elle s’écrit pourtant en caractères hébreux... Si tout ça n’est pas le parfait exemple de syncrétisme, je n’y comprends rien !
Nous sommes embarqués dans un long trajet en direction de Mascate, la capitale du Royaume d’Oman où règne en monarque absolu le sultan Qabus Ibn Saïd. Les formalités de douane accomplies, ma foi bien longue, nous voici dans ce pays à l’IDH élevé grâce à sa manne pétrolière. Ce pays fut jadis l’épicentre de l’ancien empire colonial immense du Baloutchistan qui s’étendait jusqu’à Zanzibar. Territoire des marchands d'esclaves... Il fut tour à tour un ancien satrape de l’Empire perse au VIème siècle, une colonie portugaise aux XVIème et XVIIème siècles puis un protectorat britannique malgré son indépendance. Nous arrivons dans un hôtel charmant de Mascate, une mégalopole de 4 millions d’habitants. Il est tout juste l’heure de découvrir le souk où les odeurs d’encens et de musc sont prégnantes. Dès l’Antiquité, Oman fut une étape des caravanes de marchands d’encens qui ralliaient la Mésopotamie, l’Égypte, la Perse, l’Inde. Se balader dans le souk d’une médina arabe, c’est toujours un bonheur, parole de voyageur ! Assis à la terrasse d’un « café », en fait davantage un kebab, Sfifi et moi observons le ballet nocturne des Omanais. Les hommes semblent aimer palabrer autour d’un thé ou d’un sandwich de viande. Ici il est difficile de goûter aux saveurs de la cuisine locale qui se mange presque exclusivement en famille. C’est bien dommage. Si les hommes aiment donc passer du temps avec leurs amis (masculins s’il est besoin de le dire), les femmes, enveloppées dans leurs habits qui ne laissent apparaître que leurs yeux maquillés de khôl, semblent sur le chemin du logis. Afin d’éviter tout problème et d’incompréhension, mon amie Sfia et moi sommes mariés ! Il faut dire que l’islamomanais est très traditionaliste avec sa tendance kharidjiste. C’est la première région d’obédience ibadite, probablement l'école la plus ancienne de l'islam. Selon les ibadites, le commandeur des croyants ne doit pas être nécessairement de la lignée de Mahomet ; ils furent donc chassés pour leurs pensées politiques. Des révolutionnaires ces Omanais !
Nos sacs déposés dans la vilaine auberge Amir Kabir d’Ispahan et nous voilà déjà à arpenter le labyrinthe du Grand Bazar. Si ce n’est pas Byzance, ses innombrables ramifications font qu’il est plaisant de s’y perdre. Les objets estampillés « made in PRC » (République populaire de Chine) pour éviter le déshonneur du « made in China » sont partout, l’artisanat insuffisant. Philippe a les yeux qui brillent à la vue de ces merveilleux tapis persans (Shiraz, Tabriz, Kachan...) à des prix qui défient toute concurrence. Il optera pour un petit baloutche. Vaisselle en cuivre, ustensiles pour khôl en os ou en bois, vieux instruments de navigation qui décoreront mon bar, épices, variétés de fruits secs et séchés adaptés au climat rigoureux (amandes, noix, noisettes, grenades, figues, abricots, citrons, mûres, dattes…), tapis, marqueterie, mosaïques, faïence…, c’est un petit bonheur de se balader dans les ruelles de ce labyrinthe. Autour de l’impressionnante place centrale Imam Khomeiny qui serait la plus grande place du monde après Tien an Men, quelques tchaikhaneh (maisons de thé) servent café, jus, ou le fameux thé au safran accompagné de cristaux de sucre. On aime le bazar de ce joli café à la déco chargée ! Les visites sont chères et peu impressionnantes (le palais Ali Qapu, la mosquée de l’imam), et c’est déjà vendredi. Tout est fermé. Y verra-t-on une réelle différence dans un pays où la population travaille peu (la retraite est obtenue après trente ans de travail) ? D’ailleurs, on ne sait trop à quelle heure il faut déambuler dans le bazar : 10 heures, c’est trop tôt mais le meilleur moyen d’y faire des affaires dès l'ouverture des boutiques. 13h30, c’est la pause-déjeuner avant d’enchaîner sur la sieste qui dure jusqu’à la fin d’après-midi. Le soir, passés 21h, c’est déjà presque trop tard, les premières boutiques baissant leurs rideaux dès 18h ! Nous marchons des heures à la recherche d’un endroit sympathique où reposer nos jambes fatiguées. Trouver une jolie terrasse de café pour y avaler quelques pages de ses lectures, c'est presque mission impossible. C’est finalement dans le quartier arménien chrétien de Djoulfa que les meilleurs (et presque seuls) cafés de la ville sont. rofitons-en !
Dès l'atterrissage, c'est le choc ! La cohue de l'aéroport de Manas derrière nous, un gentil taxi qui ne parle pas un mot d'anglais nous dépose, tant bien que mal, dans une capitale d'une autre époque. « Bichkek, ça sent la schneck » ! Le temps semble s'être arrêté en 1991, date de l'indépendance : en bons géographes, nous revisitons immédiatement notre perception du concept « centre-périphérie ». Notre hôtel, un petit joyau déniché par Maghnia et pourtant situé à proximité du centre, est niché dans une rue défoncée qui rappelle des escapades dans des pays bien plus pauvres. Celui-ci en est ! Bergers semi-nomades vivant en partie dans des yourtes, les Kirghizes n'ont à coup sûr que peu investis l'art-chitecture... et ça se voit bordel ! La maréchaussée s'active ainsi dans toute la ville sous un soleil de plomb. La ville n'a que peu d'intérêt si ce n'est la vue sur les magnifiques sommets enneigés du Tien Shan qui culminent au loin à 4.800 mètres ; je la classerai aisément dans celle dont on se dit parfois « mais qu'est-ce que je fous là ?! ». Surtout lorsqu'en empêchant un Kirghize de couper la queue, il me tape dessus ! La compagnie de Maghnia, à la recherche des meilleurs sushis de la ville, atténue la laideur de la ville. Il y a pourtant quelques intérêts à visiter une ancienne capitale soviétique : une imposante statue de Lénine tourne le dos à un musée national malheureusement fermé, un bon restaurant nous fait déjà découvrir la gastronomie kirghize, nos vélos dénichés à l'hôtel nous déposent dans l'un des plus grands bazars d'Asie centrale (le bazar d'Och) qui rappelle que Bichkek fut jadis l'une des villes caravanières de la Route de la Soie parcourant les monts Tien Shan. Point de cadenas ici, le vol n'existe (presque) pas ! Le soir, la place Ala-Too accueille les familles pour des balades nocturnes, sorte de passegiata à la kirghize ! Si la guerre Froide est terminée (?), une nouvelle guerre économique oppose la Russie aux États-Unis. Les produits américains supplantent, peut-être doucement, ceux de l'ancienne puissance dominante : un blockbuster hollywoodien, écrit en cyrillique ça va de soi, est en concurrence avec des films russes.Goodbye Lenin ! ? S'agit-il du sens de l'Histoire que l'américanisation des sociétés postsoviétiques ?
Le labyrinthe qu’est la médina de Tunis est endormie ; on n’y croise pas un chat, c’est dire ! Direction Carthage, la cité du mythique Hannibal. C’est depuis l’un des sites éclatés à travers une ville très huppée que Hannibal Barca, tacticien militaire hors pair, s’est lancé à travers la conquête de la Méditerranée occidentale. S’il ne reste plus rien de l’ancien port punique, les thermes, les villas ou le théâtre valent quand même la peine. Depuis Tyr, les Phéniciens ont fondé cette colonie devenue dominante au IVème s. av. J.-C. Les sites sont vides, les produits d’appel touristiques fermés (le Bardo, l’Acropolium de la Byrsa qui abrita la chapelle en l’honneur de Louis IX, mort au pays de retour des Croisades). ll y a beaucoup à faire dans ce Tunis aisé : la Marsa ou Sidi Bousaïd, ses maisons bleues et blanches, et son magnifique palais Ennejma Ezzahra. Du Café des Délices, chanté par Bruel, la vue est superbe sur Mare Nostrum. Rapidement, on se fait aux spécialités de la cuisine tunisienne : l’ojja merguez, les trop nombreux fast foods (tabouna, makloub, mélouia ou fricassés), le leblebi, une soupe épaisse qui rassasierait Perséphone, ou le tajine à la mode locale. Un tajine ça ? Plutôt une tortilla ! « Ici, c’est Thon-usie ! » Et que dire de la harissa ? Elle est partout. On comprend également que le thé est moins sucré et plus amer qu’ailleurs au Maghreb, et souvent accompagné d’amandes ou de pignons. Le quartier portuaire de (Un été à) La Goulette nous attend. Il fut celui des immigrés italiens, siciliens, maltais. Parmi les enfants du quartier, rendons hommage à de grandes dames (Gisèle Halimi, Claudia Cardinale) qui ont toujours défendu la liberté, la justice, l’indépendance ou l’égalité. J’ai hâte de déguster le couscous à l’encornet farci du bord de mer ou les babaloumi de Sidi Bou Saïd, et Maghnia, les bricks, le zrir ou l’assidat nzougou (la crème de pin d’Alep) de la médina. Aïchek Tunis !
Nous rallions avec excitation Samarcande... Cité autrefois décrite comme fabuleuse et légendaire par nombre de poètes et écrivains, aucun nom semble mieux évoquer la Route de la Soie que Samarcande. Elle est sur ma « to do list » depuis ma lecture d’Hugo Pratt. À la recherche du trésor de Cyrus II caché par Alexandre le Grand, prétexte à libérer Raspoutine d'une prison appelée Maison dorée de Samarcande d’où l’on ne peut s'échapper qu'à travers des rêves dorés faits des senteurs du haschich, Corto Maltese traverse l'ancien Turkestan entre rêves, souvenirs et onirie. « Tout ce que j’ai entendu sur Marakanda est vrai, sauf qu’elle est plus belle que je ne l’imaginais » déclara Alexandre le Grand lorsqu’il s’en empara. Si les fabuleux monuments de Tamerlan diffusent une ambiance magique, une ville moderne s'étire à travers des avenues sans charme avec des bâtiments soviétisants. Samarcande la fascinante, où es-tu passée ? Tu nous déçois, on s'y ennuie. Où sont les salons de thé à l'ambiance orientalisante que nous attendions ? Et pourtant Tamerlan fit de Samarcande une cité quasi mythique, épicentre économique et culturel de l’Asie centrale. Le Registan (« place sablonneuse » en tadjik), éblouissant, fut le centre marchand de la Samarcande médiévale. Ses majestueuses madrasas légèrement penchées couvertes de majoliques et de mosaïques sont, il le faut le dire, des joyaux architecturaux comme j'en ai rarement vu. Son petit-fils, l'astronome Ulug Beg fit également de la ville un centre intellectuel majeur ; nous voici dans son observatoire où il y aurait fait construire un astrolabe de 30 mètres pour repérer la position des étoiles. Génie d’une époque ! Non loin, le tombeau de Daniel, prophète de L’Ancien Testament, nous plonge dans les récits bibliques. Nous rejoignons la mosquée Bibi-Khanoum. Achevée peu de temps avant la mort de Timur Lang, elle fut sans doute le joyau de son empire avec sa coupole monumentale. Sur Wikipedia, je lirai : « D’après la légende, Bibi Khanoum, l’épouse chinoise de Timur, ordonna la construction de cette mosquée pendant une campagne de son époux pour lui en faire la surprise à son retour. L’architecte, tombé fou amoureux d’elle, n’accepta de terminer le travail qu’à condition qu’elle lui accordât un baiser. Or le baiser laissa une trace, et Timur, la découvrant, fit exécuter l’architecte et décréta que les femmes devraient désormais porter le voile pour ne pas tenter les hommes ». Nous voilà à déambuler dans l'allée principale de Chah-i-Zinda, une nécropole incroyable. Ses mausolées renferment de somptueuses mosaïques dont ceux des proches de Timur et d'Ulug Berg....
Du haut du 24ème étage de la Dubaï Arch Tower, j’apprécie l’espace d’un instant la ville de Dubaï. Très vite, trop vite même, je suis stupéfait du ridicule que renvoie la capitale de l’émirat du même nom. Dubaï sonne faux et ses habitants ne sont pas des plus agréables. Les Arabes et Bédouins sont absents du paysage urbain, ou semblent sortir en permanence des banques d’affaires ou des gigantesques centres commerciaux futuristes, comme le Mall of the Emirates qui offre une vue spectaculaire sur une piste de ski. Du ski dans le désert ? N’ayons pas peur de la supercherie. Les Émiratis aiment passer du temps aux terrasses des cafés de luxe ou étaler leurs richesses pendant que leurs femmes font les boutiques et que Pakistanais, Philippins ou Indiens se tuent à la tâche dans les très nombreux fast-foods. Ils rejoindront plus tard leurs bureaux d’État où des postes à moitié fictifs leurs sont réservés. L’image d’ouverture du pays s’arrête ainsi à des discriminations inscrites dans la constitution. 80% des habitants des Émirats Arabes Unis sont étrangers dont nos hôtes Airbnb qui nous déposent chez Amal, l’amie Fontenaisienne qui inaugure son nouvel appartement mis à disposition par son employeur à la sortie de la ville sur Umm Suqeim. Espagnols, Chiliens, Français, Algériens, Jamaïcains sont venus fêter son anniversaire. Le couvre-feu d’une heure du mat’ nous fait quitter les lieux. Le progressisme veille chez Emirates… Le pays semble s’occidentaliser, les marques européennes ont déniché la poule aux œufs d’or : le monde entier fait ainsi son shopping à Dubaï. Pendant que les femmes locales circulent dans leurs habits austères, les hommes déambulent avec leurs djellabas blanches si élégantes. Si raffiné soit-il, le style dubaïote plein de pudeur est nuancé par les très nombreux étrangers qui parfois osent un peu trop. Un chouilla seulement ? Conservatrice Dubaï ? Chardja l’est bien plus. Le pays semble ignorer ses racines bédouines et son désert au profit du Golfe Persique qui abrite des îles artificielles bâties à coup de pétrodollars et à une consommation énergétique démente. Le pays est l’un des 5 plus gros pollueurs du monde. Du Burj Khalifa, on comprend que le ridicule ne tue pas : la ville est construite sur la mer alors que le désert s’étend à perte de vue. « C’est le pays où l’impossible devient possible comme de dessiner des îles sur la mer » disait Yann Arthus-Bertrand dans Home avant de rajouter que « Dubaï a du soleil à n’en plus finir mais ignore les panneaux solaires. Rien ne semble plus éloigné de la nature que Dubaï alors que rien ne dépend plus de la nature de Dubaï. C’est le totem d’une modernité totale devant laquelle la terre entière ne cesse de s’étonner ». Les tours de verre, il est vrai parfois impressionnantes, me rendent de glace. Dubaï me rappelle d’ailleurs à plusieurs reprises une chanson superbe de F. Cabrel. Dans Répondez-moi, le chanteur agenais racontait son mal-être parisien évoquant le manque d’humanité des métropoles-monde, sa crainte de la solitude, son étouffement urbain. Visiter les immenses centres commerciaux semble être l’activité presque unique de Dubaï. Comme ce nouveau culte au consumérisme est passionnant… Le Mall of the Emirates donc, le Mall of Dubaï ensuite. Il abrite 2 énormes cascades mises en relief par de belles sculptures de plongeurs, un souk hors de prix, l’énorme bassin central de l’aquarium de Dubaï. De la terrasse d’un café ou depuis son fast-food préféré, on peut alors se délecter de la fluidité de la nage de raies ou de requins. C’est fou ! Nous voici dans le monorail à traverser Palm Julmeirah, le chantier du siècle. Dubaï « est comme le nouveau phare de tout l’argent du monde ». Ici, tout est possible comme de dessiner une carte du monde à coup de bétonneuses et d’une énergie colossale. Développement non durable, non-développement même. Les milliardaires d’une humanité en panne pourront rêver de s’acheter un pays, un continent peut-être. Les chantiers sont partout, l’île paradisiaque du « chacun pour sa gueule » ne ressemble pour l’instant à pas grand-chose. Au bout, c’est l’Atlantis, le célébrissime hôtel et son excellent parc aquatique. Il nous vide notre portefeuille de manière indécente mais que c’est bon ! Pour celui qui aime les sensations fortes, c’est un must : un toboggan vous propulse du sommet d’une ziggourat dans un tube qui traverse une fosse aux requins, un autre vous emmène le cul dans votre bouée au milieu d’un aquarium magnifique. Enfin, ne jetez pas la Pierre à celui qui n’ose pas se venger de Poséidon… Ces 2 capsules vous propulsent à une vitesse supersonique. Sensations garanties ! En sortant, The Lost Chambers annoncent « Perdues pendant des milliers d'années dans les profondeurs de l'océan, les ruines antiques de la cité de l'Atlantide ont finalement été mises au jour. Découvrez le mythe de l'Atlantide. » Si l’Ambassador Lagoon est impressionnant (le plus grand aquarium du Moyen-Orient abrite 65.000 créatures), c’est surtout une pompe à fric. Jusqu’à 440 euros la plongée de nuit en aquarium… Plus c’est gros plus ça passe, n’est-ce pas ? Bref : Dubaï c’est Le loup de Wall Street côtoyant des travailleurs esclaves d’un monde moderne. À vomir !
Au matin, nous voici à Izmir ou Göreme. À Izmir, la nuit appelle le magnifique petit déjeuner turc (kahvalti) fait de confitures, d'olives, de légumes et fromage frais, et d’œufs au plat accompagnés de charcuterie (sucuk). Ah menemen, sache que Maghnia ta plus grande fan, rêvera de toi à Nanterre, à Drancy ou à Paris ! Malgré son front de mer agréable, la ville nous intéresse pour ses alentours. Smyrne, un nom qui fait rêver... Il proviendrait de celui d’une reine amazone. La cité vit naître l'une des sept églises originelles de la chrétienté et son histoire antique et médiévale aura connu de brillantes civilisations. Plus loin, dans le site d'archéologique d’Éphèse, les théâtres et la bibliothèque de Celsius sont de vraies beautés. Bien que située loin du rivage, la première cité grecque d'Ionie était jadis l'un des ports les plus actifs de la mer Égée. On y célébrait Artémis dans un sanctuaire qui comptait parmi les Sept Merveilles du Monde. Marvellous !
Il est l’heure de rejoindre l’ancienne capitale kharezm située dans l’ancienne Chorésie d’Hérodote. À travers les déserts hostiles de Kyzylkoum et du Karakoum, c’est une longue route caniculaire, ponctuée d’un restaurant d’étape qui ferait passer le Bagdad Café pour la Tour d’Argent, qui nous attend ! Maghnia nous a dégoté l’une des 76 hujra de l’ancienne médersa Mohammed Rahim Khan, un bâtiment somptueux. Notre cellule d’étudiant surplombe la cour principale et l’un de ces iwan (porche voûté) de toute beauté. Les éléments d’architecture islamique d’origine perse sont d’ailleurs bien présents à l’image de l’imposant portail d’entrée (le pishtak). Qu’il est bon d’admirer la nuit tombée sur la légendaire Itchan-Qala (cité fortifiée) quand la lune éclaire les silhouettes inclinées des colonnes et des madrasas au détour des ruelles tortueuses. Selon la légende, Khiva fut fondée quand Sem, le fils de Noé, découvrit un puits à cet endroit ; son peuple l’appela Kheivak. C’est donc un grand plaisir que de terminer notre aventure ouzbèke ici à Khiva. C’est un vrai bonheur que de marcher dans cette oasis fertile aux portes du Karakoum, de se perdre dans ses ruelles baignées d’un soleil de plomb, de pénétrer dans les lieux véritablement exceptionnels qui l’ont fait connaître (la mosquée Djouma, la médersa Mohammed Amin Khan…), de boire le thé des heures durant, de déguster le lepyoshka (le pain ouzbek) accompagné de dimlama (ragoût de viande, de pommes de terre, d’oignons et de légumes) ou de sabzavotli dimlama, sa version végétarienne, le tout sur une terrasse avec vue sur les murailles. Du haut du minaret Islam Khodja, la vue sur Kunya Ark, la vieille forteresse ancienne résidence des khans, est merveilleuse ! Vous l’aurez sans doute compris, nous finissons ce périple ouzbek par un vrai coup de cœur. Cité bien plus envoûtante que la célébrissime Samarcande, nous sommes presque déçus de la quitter. Qu'importe... en avant !
Tachkent semble s’être déjà projetée dans le millénaire. Bichkek semble bien loin, à des années-lumière même… L'architecture de la ville nous impressionne, sa propreté et sa modernité, à l'image d'un Steam Bar qui fait rêver Maghnia fan du steam punk, également ! Les poches remplies de sums, la panse remplie des agapes matinales, nous voici au bazar Tchorsou avant de flâner vers la place de l'Indépendance dans un centre ma foi plutôt agréable malgré ses avenues soviétiques trop larges. Les références à Amur Timur (Tamerlan) ne sont jamais très loin. Ce sera évidemment encore le cas dans les villes phares de l'Ouzbékistan touristique...
Il est déjà l'heure de repartir vers l'ouest. Ankara, la nouvelle capitale construite par Mustafa Kemal, n'a que peu d'intérêt si ce n'est la visite du pharaonique mausolée construit à la gloire du fondateur de la Turquie moderne. C'est sous sa présidence que les codes civil et pénal ou l'alphabet latin sont adoptés, la polygamie interdite, le mariage civil seul reconnu par l'État instauré, la référence à l'islam comme religion officielle supprimée. L'école primaire devint aussi gratuite et obligatoire. Pendant toute la durée de notre voyage, nous verrons ainsi les multiples références et portraits en hommage au « Père des Turcs », qui, dans sa face sombre, imposa le port du chapeau occidental et limita le poids des traditions populaires (la musique par exemple). D'Atatürk à Erdogan, l'homme providentiel semble donc être innérant au pays ; ça en est flippant ! Partout, on prépare les festivités de commémoration du coup d'État manqué de 2016. Un pont des martyrs du 15 juillet a même été construit en hommage aux victimes... Tout est dit ! De retour à Istanbul, du côté d'Üsküdar cette fois (la rive asiatique), la boucle turque est bouclée. Un petit balik ekmek (sandwich au poisson) c'est parti !
Je débarque à Sarajevo les idées justes assez claires pour trouver me frayer un chemin du minscule aéroport jusqu'au quartier ottoman de Bascarsija en passant par un no man's land pas très motivant... Dans le seul pays à dominante musulmane d'Europe, l'appel des muezzins rythme les journées ponctuées par la découverte d'un centre charmant et la rencontre avec l'Orient : celle de l'art du café bosniaque et des cafés à chicha qui rappellent Istanbul, d'un caravansérail transformé en café, de cette madrasa devenue centre culturel, des minarets se mêlant avec harmonie aux clochers des églises orthodoxes, catholiques ou de cette synagogue ashkénaze. Sarajevo est un savant mélange, le mariage de la culture turque, slave, austro-hongroise, de la langue et de l'alphabet cyrillique, et des nombreux cafés d'Europe centrale. C'est la ville parfaite pour une aventure imaginaire de Corto Maltese ! La Yellow Fortress qui surplombe cette ville aux allures de Chamonix est prise d'assaut le soir venu par les musulmans pour l’Iftour. Un coup de canon marque la rupture du jeûne : familles, amoureux, amis, jeunes et vieux, femmes voilées ou en tenues décontractées s'y pressent pour profiter du spectacle du coucher de soleil sur les collines de la ville et partager un pique-nique souvent fait de yogourt, soupes, pizza ou pitas fourrées frites. J'accompagne Mirela et ses deux amies, trois jeunes Bosniaques qui m'expliquent avec passion leur pays, leurs visions de la Yougoslavie de Tito et leur nostalgie des années passées. Le ciel s’obscurcit au moment où je rejoins les lignes d'un tramway désuet. C'est alors que des centaines de personnes se massent sur le trottoir pour assister au passage d'un camion qui transporte les corps de nouveaux charniers découverts... Direction Srebrenica pour l'enterrement et la commémoration des 20 ans du massacre (ou génocide ?) de 8000 Bosniaques musulmans par les armées serbes de Milosevic, Mladic et autres tortionnaires qui, pour certains, finissent leurs jours en Serbie voisine. Sarajevo porte les meurtrissures d'un XXème siècle cannibale : plaque commémorative de l'assassinat de François-Ferdinand et sa femme Sofia (1914), prélude et prétexte à un premier conflit mondial attendu avec impatience par les grands industriels européens, souvenirs faits à la main à partir de douilles ou de mortiers, nombre incalculable de maisons criblées de balles, tunnel qui a permis à l'armée bosniaque de soutenir les quatre ans de siège en 1992 et de sortir du goulet d'étranglement que constituait l'aéroport contrôlé par l'ONU mais bombardé par le voisin serbe. Avant de quitter la ville, la découverte des sources de la banlieue d’Ilidza me permet d'évacuer ces moments peu joyeux dans un cadre magnifique...
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