Petits moments de voyage, ces chroniques urbaines nous emmènent à travers le monde, de l’Orient aux Amériques en passant par l’Afrique. Métropoles mondiales ou régionales, bourgades mythiques ou villes cauchemardesques, nous vous embarquons donc sur les traces d’un tourisme urbain bien souvent jouissif ! Population urbaine mondiale en forte hausse (70% en 2050), ce tourisme est d’ores et déjà en pleine (r)évolution !
Afrique 3.0
« Mesdames et messieurs, nous arrivons bientôt en gare d’Oran » annonce le contrôleur d’un train aux vitres toutes défoncées... 1h15 plus tard, le bientôt devient réalité ! Nous voilà à suivre les rails d’un tramway qui nous emmène devant le magasin de cassettes choisi par DJ Snake pour son clip Disco Magreb. En attendant mon premier kerentika, ce délicieux flan de pois-chiches préparé façon sandwich baguette, une femme me grille la politesse. Je comprends que l’on s’efface devant la femme algérienne, plus que jamais respectée. Kerentika, comme tout ce que je goûte depuis mon arrivée, tu es 100% validé ! La ville andalouse est devenue la capitale du raï. Sur la crête du massif de l’Aïdour, nous imaginons participer aux soirées estivales de « la Joyeuse ». Depuis le fort de Santa-Cruz, la vue est belle sur la ville, le port militaire de Mers el-Kébir et le palais ottoman du Bey. En totale décrépitude, il devait être somptueux. Dans les premières lignes de La Peste, Camus dit d’Oran qu’elle est « la ville la plus indifférente du monde » ; pourtant, il pensait d’elle que « tous les matins d'été sur les plages ont l'air d'être les premiers du monde. Tous les soirs d'été prennent un visage de solennelle fin du monde. » Wahran me rappelle Marseille ; elle n’a rien d’exotique, comme l’avait d’ailleurs noté le romancier (nous dit Benjamin Stora). Qu’en pensait Yves-Saint Laurent qui y grandit et s’inspira des tenues de l’Ouest algérien (et non du Maroc soit dit en passant…) pour ses collections ? En mission pour dégoter un concert de raï, on fait choux-blanc ; ce sera la seule déception du voyage. Nos après-midis sont marquées par la découverte de salons de thé souvent cozy et non pas enfumés, comme les cafés uniquement masculins. Dans les restaurants, des salles familiales évitent aussi ce désagrément. Les pâtisseries françaises sont partout (éclairs, tarte au citron, Paris-Brest) et le millefeuille est le roi ! Au petit-déjeuner, ce sont les viennoiseries qui font la loi. Au bled, la mona, ce gâteau de l’Ouest est à découvrir. À 200 dinars le gâteau (0,80 euro), yalla ! Non loin d’une « pâtisserie » de Gambetta, Maghnia veut se rendre sur les lieux de l’assassinat de Cheb Hasni par ces fous du GIA, en pleines années noires. M’a-t-il volé ses paroles lorsqu’il chante « gaa nnsa elli fug 'ard rrebbi ma yğunich fe lli bgha galbi… » (« Aucune femme au monde ne peut égaler celle que mon cœur a choisie. ») ? Dans un restaurant à couscous, une mendiante et sa fille sont acceptées. La majorité des clients sont généreux à son égard. Je ne perçois pas d’agressivité contre les miséreux, presqu’exclusivement d’Afrique subsaharienne et appelés « camarades. En direction de la wilaya de Tlemcen, on se rapproche un peu plus de la ville de Maghnia… Le bled !
Après un voyage long un peu galère, je m’installe avec Kevin dans une guesthouse façon coffre-fort pleine de caméras... Kevin a oublié son petit sac dans le taxi. L’enfoiré, à quelques mètres de là, revient à condition d’un pourboire ! À peine nos sacs posés que les consignes sont très claires : il faut se déplacer uniquement en voiture pour éviter de se faire lyncher, ne jamais sortir seul même en pleine journée et surtout éviter un centre-ville qui tombe en ruine... Ambiance sympathique Escape from New York (New York 1997), ce film apocalyptique qui voit Snake Plissken survoler une ville en proie à une violence inouïe afin de secourir Donald Pleasance en président des États-Unis. D’ailleurs, un étudiant français nous raconte comment, pour éviter le car jacking, on lui apprend dès son arrivée, à garer sa voiture ! Le City hall, où j’ai stupidement donné rendez-vous à mon ami Pierrot, fait face à un bâtiment destroy aux vitres défoncées, à coup sûr paradis pour des squatteurs d’un centre qui fait froid dans le dos. Longue attente quelque peu angoissante avant qu’une voiture ne se gare. Pierrot est en compagnie de 2 Sénégalais, les seules personnes qui ont bien voulu le conduire dans le centre ; les taxis et son hôtel ont refusé. Ils nous font de grands gestes pour les rejoindre au plus vite tout en balayant l’intégralité des rues de leurs regards. Ça craint donc vraiment Downtown Jo’burg ! Le quartier semble avoir été déserté par les blancs dès 17h et la fermeture des bureaux. En 2 heures, nous n’en croiserons aucun. C’est bien le début de notre voyage au pays de l’ANC. Réputé comme insalubre et dangereux, le district de Hollbrow est habité par des migrants pauvres issus des townships et des zones rurales. Il est temps de foutre le camp et de rejoindre Sandton, une banlieue chic qui touche le township d’Alexandra. Sur le chemin, je suis frappé par ces ghettos pour riches défendus par des gardes privés surarmés. Les quartiers moins riches de Jo’burg ne font pas exception : les maisons sont toutes sous protection armée, les murs électrifiés ou protégés par des éclats de verre… Ça pue le ghetto, l’ambiance est ultra sécuritaire, ça fout la frousse… La société soi-disant multiculturelle est inexistante. Welcome to Apartheid ! Le lendemain, escorté par une agence, nous visitons le South Western Township (Soweto), célèbre pour les maisons de Mandela et de l’archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix. Au Musée de l’Apartheid, 2 entrées parallèles sont réservées aux blancs d’un côté, aux noirs et métis de l’autre. L’idée, qui rappelle l’Apartheid, est à l’image du musée : fantastique. C’est un grand moment pour moi, l’émotion me submerge... Je me rappelle de la libération de Mandela, de Steve Biko et de Dulcie September, des visages de Victoria Mxenge et de Neil Haggett dans Assimbonanga du Savuka de Johnny Clegg. Celui-ci y chantait « Look across the Island into the Bay » en évoquant Robben Island. Les otaries s’amusent dans le port, la baie du Cap. Depuis Victoria & Alfred Waterfront, nous rallions « l’île des phoques »qui servit de prison politique pour les opposants noirs au régime. On l’appelait « l’université Mandela », car il y fut détenu pendant près de 18 ans. À la vue de sa petite cellule, c’est encore un moment rempli d’émotions. J’aurais aimé avoir l’opportunité de pénétrer dans l’un des shebeen, ces bars autrefois clandestins des townships. Une prochaine fois ?
Après quelques heures au Caire, on se rend vite compte que l'organisation à l'égyptienne c'est quelque chose ! Cette ville me fait revivre quelques moments de mes pérégrinations indiennes. Le Caire ressemble à Delhi, à Mumbai la surpeuplée. Le bruit est partout, le trafic automobile (in-?)supportable, les feux de circulation inexistants, la pauvreté et la saleté s'étalent dans des rues où les bâtiments tombent en ruines... Le poumon du pays est étouffant. Passons, car il y a fort à faire au Caire : une balade dans le quartier copte, une visite au musée national qui, à l'image de la ville et du pays est complètement désorganisé : il ressemble à un immense entrepôt sans queue ni tête où sculptures, momies, sarcophages s'entassent sans aucun intérêt, ni pédagogie. Au milieu de ce marasme émerge pourtant le fabuleux trésor de Tout Ankh Amon et son masque funéraire qui me donne des frissons et me plonge dans l'enfance. Après le souk Khan Ali Khalili datant du XIVème siècle, on fonce vers Guizah, ville millionnaire de la banlieue d'où émerge le sphinx et surtout l'ensemble pyramidal mondialement célèbre (Khéops/Khuphu, Khéphren, Mykérinos). Absolument monumental à défaut d'être apaisant tant le nombre de cars climatisés qui vomissent des centaines de touristes est effrayant. C'est presque Disneyland. Mais nous voici partit dans les entrailles d'un colosse de pierre de 136 mètres de haut qui renfermaient, jadis, le trésor et tombeau du Pharaon : connaissez-vous la légende de la malédiction des pyramides ? La chanson de I Am qui dit que « la mort frappera sans retard ceux qui oseront troubler le sommeil éternel du pharaon (…) » ?!
Nous avons opté pour Cocody, l’une des communes d’Abidjan. « We are the rockers from Zion Ivory Coast (…) Coco coco Cocody Rock (…) Coco coco Cocody Rasta » chantait le parrain du reggae africain (Alpha Blondy). Chambre réservée non disponible, restos tenus par des Libanais ou des Chinois qui ont mis la main sur nombre de projets pharaoniques, bienvenue en Afrique où la Françafrique est toujours là ! Sur tous les écrans, Canal + règne presque en maître et le luxe semble tricolore. Cocody offre ainsi quelques services bancaires et gastronomiques à la parisienne. En ralliant l’Allocodrome de Cocody, nous croisons notre premier gbaka, ces minibus bondés où des assistants du chauffeur font des pirouettes à pleine vitesse accrochés à la portière. Nous tombons au hasard sur le gigantesque Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC), un endroit rêvé pour le poto Barny ! C’est l’heure de notre premier attiéké (semoule de manioc) accompagnée d’un magnifique poisson braisé. Nous assistons à l’un des (trop) nombreux cultes évangéliques qui endorment une population sapée comme jamais. Ici, « la religion est {bien} le soupir de la créature opprimée (…) comme elle est l’esprit de conditions sociales où l’esprit est exlu. Elle est l’opium du peuple » comme l’écrivait Marx. Nous le comprendrons encore plus en parcourant les quartiers poussiéreux de Yamoussoukro où les Églises sont à chaque coin de rue, ou en lisant les messages à l’arrière des taxis et bus !
La Western Province reste très européanisée, métissée aussi et bien loin du chaos de Jo'burg. C'est ici que les colons sont arrivés au XVIIème siècle et ont fondé Le Cap. Le centre de la mégapole est dominé par les imposants Lion’s Head, Devil’s Peak ou Table Mountain qui culmine à plus de 1.000 mètres. Lorsque les nuages s’y accrochent, on dit que la « nappe » (table cloth) est mise. C’est le souffle coupé que nous rallierons le sommet de la Table et son fynbos (« buisson » en afrikaans) endémique. C’est le maquis ! La vue sur l’amphithéâtre naturel que constitue City Bowl - le centre historique - est géante ! Nous redescendons en funiculaire. À Long Street, notre première soirée sera gâchée par l’histoire de Elvis, un Congolais. « J'ai tout quitté depuis dix jours. Ma maison, mes habits, mes amis, tout » me dit-il. « En Afrique du sud tu sais, il n'y a pas de travail, la vie dans les townships est difficile. Les noirs n'ont pas de travail. » Beaucoup de Congolais dealent un peu de Durban Poison pour survivre et payer leur loyer. Il continue : « En ce moment, les noirs s'attaquent aux étrangers noirs, les tuent à coups de machettes, car ils pensent qu'on leur vole leur travail. » Il nous parle certainement de Mitchell’s Plain ou Khayelitsha. Congolais, Mozambicains, Zimbabwéens... même couleur de peau mais dialecte différent. Non loin du Cap, c'est à nouveau un bonheur de pédaler à travers le Table Mountain National Park. Croisement des 2 océans et phare du bout du monde au Cap de Bonne-Espérance découvert par les Portugais, le cadre naturel est à couper le souffle. Faune maritime (baleines, otaries, requins blancs, phoques) dans la baie méridionale de la Table, histoire, vignobles, sports (surf, trek, parachute, VTT, plongée, varappe ou le stupide shark diving), la multimillionnaire Cape Town est magique. Nous reviendrons dans la métropole métissée du Cap par Simon’s Town pour y observer son énorme colonie de manchots du Cap à Boulders Bay. En chemin, nous voilà à observer les surfeurs. Pour la sécurité des surfeurs, les Shark Spottersobservent les eaux à la jumelle pour alerter du danger des squales. Je parle avec l’un d’eux qui m’explique son boulot et se détourne de ses jumelles. La conversation est longue… Qu’en est-il de la sûreté des sportifs ?!
Premier taxi, premier tarif touriste. Dès notre sac posé dans une guesthouse, nous voilà à l’assaut d’une ville ensoleillée. Tanger la diplomate, habitée par nombre d’espions, des Pierre Loti et compagnie, deviendra la ville des prostituées, des marins de fortune, des artistes échoués ou des espions de toutes sortes a dû bien changer. Dès le premier thé à la menthe avalé avec gloutonnerie et c’est déjà la première prise de bec avec un jeune Tangérois qui a (mal) vu en nous le moyen de ramasser quelques dirhams. La médina est un labyrinthe de maisons bleues et blanches, ses terrasses multiples donnent sur un paysage marin et plus loin encore… l’Espagne ! Gibraltar et Algésiras ne sont qu’à quelques kilomètres, le rêve européen paraît, à tort, bien accessible. Les premières odeurs de kif s’échappent de tous les cafés où jeunes hommes et vieillards tuent le temps la tête dans les étoiles. On se demande un court instant si fumer est légal. Un court instant seulement, le temps de visiter le Musée de la Casbah puis d’avaler un premier tajine au poulet. Nous redescendons vers la corniche où une nouvelle mosquée géante doit être inaugurée par Mohammed VI. Après des années d’isolement politique, la ville rebelle a-t-elle enfin obtenu les grâces de la monarchie ? Nous tentons tant bien que mal de nous repérer dans ce labyrinthe complexe et fascinant. Peine perdue… Au fur et à mesure des journées, nous prenons nos habitudes : boire un thé qui vous brûle la langue place du petit Socco, flâner dans les souks, admirer le travail du cuir de Fez ou d’ailleurs, se rendre à la cinémathèque place du grand Socco. C’est peu… mais c’est déjà beaucoup, bien suffisant en tout cas ! Tanger nous fascine presque’immédiatement. La faute à son histoire peut-être ou à son rapport si particulier avec les nombreux artistes qu’elle a hébergé comme Delacroix, Matisse, A. Dumas, T. Ben Jelloun ou J. Kessel. « Tanger était une partie de plaisir un peu mélancolique pour les demi-soldes du monde moderne » écrira d’ailleurs Daniel Rondeau. C’est ici que le musicien et écrivain Paul Bowles (Un thé au Sahara) y finira sa vie, que le junkie qu’était William Burrough y écrira Le festin nu. Le soir venu, nous suivons les odeurs de tajine avant de redescendre vers les Soccos magistralement décrits par dans Tanger et autres Marocs : « à la nuit tombante, le branle tangérois se déplace jusqu’à la scène populeuse du Petit Socco. Un carré de brasseries ouvertes sur la rue, les fauteuils des terrasses, les balcons du café Fuentés, avec leurs balustres de fer, le bruitage des télévisions : le Petit Socco est un théâtre. Toute la médina vient s’y montrer. Dans un tourbillon, on s’interpelle, on s’embrasse, on se salue, puis on retourne dans les coulisses de la ville (….) la ronde quotidienne des figurants du crépuscule est une énigme. Seuls la déchiffrent, peut-être, les hommes en burnous, assis aux premières loges devant leur thé à la menthe, statues immobiles et silencieuses, qui contemplent la même scène tous les soirs sans jamais bouger d’un cil ». La nuit venue, il est temps de remonter vers les bars à tapas qui alternent entre clientèle hyper bourgeoise et populace joyeuse. Influence espagnole certainement. On finit la soirée dans un bar musical enfumé, lui dans les beaux quartiers. « Tanger l’Africaine n’a donc pas d’horaires » (Rondeau).
J’avais passé une bonne partie de mes 2 premiers voyages à boire le thé puis apprendre à le préparer. Alioune Sarr m’avait appris son art. De plus en plus sucré et de moins en moins amer, le dicton disait : « amer comme la mort, doux comme la vie, fort comme l’amour ! » Nous avions passé un temps monstre à Pikine, Guinaw rails par exemple. Le Mike Tyson, l’énorme burger de Tali Boumack, c’était ça le quartier ! Nous avions également vagabondé dans Dakar, sur le littoral, aux Almadies, à Yoff, à l’IFAN (Musée des Arts africains) ; le Musée des civilisations noires n’existait pas encore. Nous avions embarqué en pirogue pour N’Gor, l’île constituée de coulées d’hawaïte habitée en partie par France Gall et Peter Gabriel. C’était une superbe journée. Une autre île m’avait électrisée : Gorée. Depuis l’embarcadère où l’on s’amuse avec bonheur, on accède facilement à de jolies balades au milieu des bougainvilliers pour rejoindre, par exemple, les canons de Castel qui surplombent la pointe sud de l’île. Dans les « terres », quelques splendeurs architecturales coloniales tombent en ruine à l’image de l’ancien Palais du gouverneur. Ce n’est pas encore le délabrement des bâtiments de Rufisque mais ça y ressemble ! Avant de partir pour la Maison des Esclaves, lieu de passage obligatoire pour celui qui souhaite commémorer la Traite des noirs, on attend des plombes notre poisson grillé avant de comprendre que le restaurateur attend le retour de la pêche. La maison de couleur pastel est un symbole plus qu’un lieu majeur du Commerce Triangulaire (contrairement au golfe du Bénin). Qu’importe la vérité historique, la « porte de non-retour » probablement jamais utilisée, la comparaison avec Auschwitz ! Visiter Gorée, en compagnie du conservateur Boubacar Joseph Ndiaye, c’est se replonger dans un passé infâme et douloureux. Non loin, le fort d’Estrées accueille un musée historique alors qu’un bâtiment de la Compagnie des Indes abrite le Musée de la mer. Lors de mon dernier voyage en compagnie de Sébastien Houdin, nous avions fait reconnaître une école 3ème voie par les institutions et développer des partenariats. Le voyage avait été intense, en partie passé dans les interminables bouchons de Dakar !
Le labyrinthe qu’est la médina de Tunis est endormie ; on n’y croise pas un chat, c’est dire ! Direction Carthage, la cité du mythique Hannibal. C’est depuis l’un des sites éclatés à travers une ville très huppée que Hannibal Barca, tacticien militaire hors pair, s’est lancé à travers la conquête de la Méditerranée occidentale. S’il ne reste plus rien de l’ancien port punique, les thermes, les villas ou le théâtre valent quand même la peine. Depuis Tyr, les Phéniciens ont fondé cette colonie devenue dominante au IVème s. av. J.-C. Les sites sont vides, les produits d’appel touristiques fermés (le Bardo, l’Acropolium de la Byrsa qui abrita la chapelle en l’honneur de Louis IX, mort au pays de retour des Croisades). ll y a beaucoup à faire dans ce Tunis aisé : la Marsa ou Sidi Bousaïd, ses maisons bleues et blanches, et son magnifique palais Ennejma Ezzahra. Du Café des Délices, chanté par Bruel, la vue est superbe sur Mare Nostrum. Rapidement, on se fait aux spécialités de la cuisine tunisienne : l’ojja merguez, les trop nombreux fast foods (tabouna, makloub, mélouia ou fricassés), le leblebi, une soupe épaisse qui rassasierait Perséphone, ou le tajine à la mode locale. Un tajine ça ? Plutôt une tortilla ! « Ici, c’est Thon-usie ! » Et que dire de la harissa ? Elle est partout. On comprend également que le thé est moins sucré et plus amer qu’ailleurs au Maghreb, et souvent accompagné d’amandes ou de pignons. Le quartier portuaire de (Un été à) La Goulette nous attend. Il fut celui des immigrés italiens, siciliens, maltais. Parmi les enfants du quartier, rendons hommage à de grandes dames (Gisèle Halimi, Claudia Cardinale) qui ont toujours défendu la liberté, la justice, l’indépendance ou l’égalité. J’ai hâte de déguster le couscous à l’encornet farci du bord de mer ou les babaloumi de Sidi Bou Saïd, et Maghnia, les bricks, le zrir ou l’assidat nzougou (la crème de pin d’Alep) de la médina. Aïchek Tunis !
En prélude de notre voyage débuté dans l’antre de celui qui prêcha le panafricanisme (Kwame N’Krumah), nous voilà à l’avant-première parisienne de celui qui chantait « Africa Unite. How good and how pleasant it would be (...) To see the unification of all Africans ». Bel idéal mais bel échec… Dès notre arrivée à Accra, nous savons que l’humidité, mêlée à la chaleur supportable, rendra le voyage difficile. Charlotte comprend, de suite, que ce voyage sera celui de la résolution de problèmes quotidiens. Accra semble surpeuplée et avec une circulation intense. Il a fallu lutter pour obtenir le visa ghanéen. Un peu plus pour – après annulation de dernière minute – trouver trois lits de disponibles non loin du centre à un tarif acceptable. N’Krumah fut inspiré par W.E.B. Du Bois, ce militant américain des droits civiques précurseur de la négritude qui inspira, avec Garvey, le panafricanisme du premier président du pays (les « États-Unis d’Afrique »). Du Bois terminera sa vie ici. Sur les murs du mémorial, on lit « I am not African because I was born in Africa, but because Africa was born in me. » Le premier soir, on nous sert une soupe de poisson gargantuesque trop épicée et peu appétissante. Maghnia est toujours à la recherche d’un masque ancien. Est-ce possible ? Il nous reste deux missions : la première est le mémorial W.E.B. Du Bois, également sociologue qui fut le premier Afro-américain a obtenir un doctorat. Le musée est bien pourri, et pourtant Teddy s’y passionne. C’est toujours son cas lorsqu’il s’agit de visiter des lieux culturels, musées, bibliothèques ou lieux de mémoire ! Nous tenons aussi à voir Kantamanto, le plus grand marché de fripes du monde. C’est un labyrinthe gigantesque qui recycle toute la merde textile venue de Chine, de Corée du Sud, d’Europe. Ainsi, le monde envoie ici ses déchets, que ce soit vêtements ou ordinateurs… Des cloques transforment les deux dernières journées de marche de Charlotte en souffrance. Elles s’infecteront au contact de la transpiration et de la poussière. Elle transpire tellement que les sparadraps ne tiennent pas. « Roh putain c’est chaud. RIP Tonton Tanguy ! Ta sœur va te défoncer ! » me texte l’ami Kévin. Maghnia et moi avons hâte de rentrer. Je multiplie les références nostalgiques à l’Asie… « On a compris que l’Asie c’était le paradis tonton » me dit Charlotte. Quant à Rodrigo, il nous saoule avec des plus des « Jen a marrrrrrr !!!! » de plus en plus fréquents ! Barima – le « seul » homme d’Accra à Porto-Novo qui doit porter des lunettes ! – nous a donné rendez-vous dans un resto de gastronomie locale : apapransa, mportor mportor, salade ghanéenne, bœuf angwame, waakye, kelewele, tatale, aboboi, aboloo, akyeke ou soupe okro, en deux petites heures, il m’est presque possible de goûter toute la nourriture ghanéenne selon ses propres mots. La gastronomie française nous appelle…
Nous tentons de rallier Lomé dans un bus de fortune stoppé toutes les dix minutes par un chauffeur qui tente de soigner un moteur à l’agonie. Peu importe, « on est ensemble ! » En soirée, le mollet de ma nièce est affublé d’une énorme brûlure au second degré fait par le pot d’échappement d’un zémidjan (moto-taxi), probablement shooté au Tramadol, cet antidouleur surdosé qui fait fureur dans les milieux populaires de la région. « Té une péstiféré ! » n’arrêtera pas de lui dire le petit gros à la fin du voyage. Au retour de la première demi-finale de la CAN, nous comprenons que notre logeur n’a pas suffisamment de crédit sur son compte… L’électricité de notre hébergement tombe en rade, l’eau – désormais sans pompe – également ! Il débarque à 1h15 du matin la réarmer, avant de demander de payer du crédit… La blague ! Après un moment de douceur matinale sur la plage de ce carrefour économique d’une ville née à la fin du XXème siècle, nous visitons le célèbre marché des féticheurs du quartier d’Akodésséwa. Si vous cherchez des crânes, os, cornes, défenses, peaux et épines d’animaux (chats, hiboux, porc-épic, chiens, crocodiles, serpents…), vous êtes au paradis ! C’est surtout le carrefour de ces « charlatans » guérisseurs qui proposent la consultation à 2.000 FCFA. Séverin nous assure que les animaux sont tous morts de causes naturelles… Alléluia !
Dans la cité lacustre de Ganvié, une énième « Venise » située sur le lac Nokoué, d’anciens esclaves sont devenus « hommes de l’eau » (Tofinous) pour échapper aux razzias esclavagistes ; ils ont développé leur propre langue. Tofinu, notre guide Eric se prend pour une star. Les maisons sur pilotis dominent des anciens marécages, jadis bien plus poissonneux ; ils sont sillonnés par des pêcheurs qui privilégient les techniques ancestrales de la pêche acadja (parcs halieutiques artificiels) et à l’épervier. Le geste du lancer du petit filet est gracieux. Au sortir de la zone humide, direction la magnifique ancienne mosquée de style afro-brésilienne de Porto-Novo… Flash-back de Maghnia qui reconnaît illico l’église San Salvador de Bahia ! Celui qui porte le nom de Bernard Lama nous escorte, non pas sur un terrain de foot, mais dans sa famille qui modèle des tambours pour le bonheur des djembefola de la région. Puis sur la rivière Noire à Adjarra… De retour à Cotonou, nous voici face au plus long mur de street art du monde. Un mastodonte fait de bijoux signés Paola Delfin ou Kobra ! Beaucoup d’œuvres mettent en avant les traditions locales, ou les agodjie, ancien régiment militaire entièrement féminin du royaume du Dahomey. Une statue colossale (30 mètres, 150 tonnes) rend hommage aux « Amazones du Dahomey » comme les appelait les colons occidentaux. Ce sont les ancêtres des guerrières du Wakanda (Black Panther) !
Alger semble préparer, comme il se doit, le 70ème anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance (1er novembre 1954). Au loin, le gigantesque minaret (le plus haut au monde avec 265m), de la très récente troisième plus grande mosquée de la planète, ressemble à un vaisseau futuriste qui éclaire jusqu’au rivage de la ville blanche. Au matin, nous partons découvrir une capitale charmante à l’architecture coloniale de toute beauté ! Assis à la terrasse du célèbre café Tantonville, Le Chat du rabbin, descendu de la casbah voisine, semble venir nous chercher pour une visite de son royaume. C’est ici que Sfar a localisé sa bédé d’un chat qui rêve de devenir juif. Le temps fait son œuvre dans un quartier sinueux qui souffre le martyre. Des migri, le plus souvent de France, attendent qu’une place se libère dans une pêcherie populaire : l’heure des sardines-frites, accompagnées de chien de mer et de chakchouka (poêlée de poivrons, piments), est arrivée. À l’heure de l’addition, je n’en reviens pas… « soyez les bienvenus » ! La Bataille d’Alger, le film – longtemps censuré – de Pontecorvo, tourne en boucle dans la ville, et les ruelles de la Casbah rappellent la bataille centrale du conflit (1957), lorsque le FLN mena la révolte contre les paras français, volontaires pour « pacifier » le secteur. Quelque part dans ce labyrinthe, nous tombons sur un « musée » qui met en avant les figures de la lutte. Amoureux d’histoire, nous rejoindrons aussi la villa Susini, bâtisse néo-mauresque qui cachait un centre de torture. Dans le quartier d’El Biar, nous voilà devant l’ancien QG des barbouzes de De Gaulle qui traquaient l’OAS, ou devant le « centre de tri » qui vit passer Maurice Audin et Henri Alleg. Au pied de la Casbah, c’est le souk ! La basse Casbah mauresque est toujours un lieu d'échange et de pouvoir. On tombe sur la mosquée Ketchaoua (كتشاوة), petit bijou du XVème siècle. « Notre mosquée aura changé de culte, mais pas de Maître, le Dieu unique » aurait déclaré le duc de Rovigo lorsqu’elle deviendra cathédrale par la force des armes coloniales (et un petit massacre !). À l’indépendance de 1962, elle redevint mosquée… Un joli ping-pong religieux ! Son architecture, rare dans la région, évoque les minarets de l’époque mamelouke d’Égypte. Magnifique ! En soirée, le quartier de Bab el Oued nous plaît bien. Il grouille de marchands de rue et de dynamisme. J’attends ce moment avec impatience : la soirée chaâbi dans LE café algérois de référence, qui affiche la figure du plus grand, El Hadj M'hamed El Anka. Cette musique qui fit son entrée sur la scène internationale suite à la reprise de Ya Rayah de Dahmane El Harrachi par Rachid Taha, est aussi une variante de la musique arabo-andalouse. Un vieil homme, savant professeur et cultivé comme ces nombreux anciens que l’on croise, nous explique – dans un parfait français –, son origine. Ses sonorités de mandole (plus grosse que la mandoline) et ce piano, qui remplace le kanoun, sonnent à merveille. En cette veille de 1er novembre, la place de la poste, non loin de là où De Gaulle dira « Je vous ai compris » (4 juin 1958), est remplie de monde pour les festivités mémorielles. Il faut être très patient… Le lendemain, nous faisons la connaissance d’un homme qui nous « guide » dans l’histoire algéroise, devant la statue de Maurice Audin par exemple. Il s’en va vers le Milk-Bar, célèbre malgré lui pour l’attentat de septembre 1956 (du FLN) et déclencheur de la bataille d’Alger. Djamila Bouhired et Z. Drif seront graciées par De Gaulle. En contrebas, la Librairie du Tiers-Monde est le haut lieu de la vie intellectuelle algéroise, celle que l’on rencontre dans un dar lors d’une exposition. La cinémathèque n’est pas loin. La grande mosquée (Djamaâ El-Djazaïr), et son complexe de 400.000m², est assez impressionnante. Il abrite(ra) une bibliothèque, un centre de culture, de conférence, de recherche, un musée d’art et d’histoire islamique. C’est aussi une machine à cash avec son hôtel, ses restaurants, son parc de loisirs et centre commercial. Rien n’est trop beau pour rendre hommage au divin ! À l’intérieur, c’est la déception. La cour n’a pas d’âme, et pourtant, les portes en bois de la pharaonique salle de prière (120.000 fidèles) sont sublimes. On pénètre dans le monstre blanc, orné du plus grand lustre du monde, en cristaux Swarovski, trempé dans un bain d’or. Un milliard d’euros pour ça ?! Une idée bien stupide de l’ère Bouteflika ! Avant un thé saharien un brin amer, souvent peu sucré et agrémenté de brins de menthe fraîche déposées directement dans le verre (et parfois de fleur d’oranger), nous sommes à la recherche des traces algéroises de Camus, et nous montons, en ce jour de Toussaint, saluer la jumelle marseillaise qu’est la basilique de style romano-byzantin Notre-Dame d’Afrique. Des Français et expatriés donnent l’impression de ne pas être en terre musulmane mais dans les arrondissements parisiens chicos ! Dans le lieu de prière, une chapelle abrite des ex-votos de Charles de Foucault, l’ermite du Sahara algérien. Nous sommes marqués par l’inscription qui trône en plein c(h)œur : « Notre Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans ». Je suis frappé par la mise en avant de la figure maritale… Ici, Jésus se fait petit. En face, l’orgue a été inauguré par Camille Saint-Saëns. Un Cygne !
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