Petits moments de voyage, ces chroniques urbaines nous emmènent à travers le monde, de l’Orient aux Amériques en passant par l’Afrique. Métropoles mondiales ou régionales, bourgades mythiques ou villes cauchemardesques, nous vous embarquons donc sur les traces d’un tourisme urbain bien souvent jouissif ! Population urbaine mondiale en forte hausse (70% en 2050), ce tourisme est d’ores et déjà en pleine (r)évolution !
La toute puissance de la Chine
Avec sa voisine Shenzhen, Guangzhou n'offre que peu de choses à faire. Certes, mais il faut prendre le temps de comprendre ces 2 mégapoles, car Voltaire a justement écrit que « quand on ne voyage qu'en passant, on prend les abus pour les lois du pays ». À GZ, le quartier de Zhongshamba/Fuli Guangchang permet de rencontrer quelques Ouïghours, musulmans de l'Ouest à la nourriture très épicée, et une communauté arabe/du Moyen-Orient. Dans leurs restaurants, presqu'eux-seuls se retrouvent ; même chose dans le quartier africain de Xiaobei. Les Nigérians, Congolais, Ivoiriens sont là pour exporter téléphones, fringues.., car Canton c'est l'emporium du monde ! C'est donc l'eldorado des commerciaux, un peu moins des vendeurs qui touchent environ 350€/mois avec seulement 2 jours de congé par mois. Vous pourrez passer du temps à Xiaobei à l'Alliance Française, découvrir la Montagne du Long Nuage Blanc, la vie nocturne de Canton, les restaurants dynamiques de la petite communauté française, francophone, francophile. Fuyez le Bound, une boîte qui pue le fric et les « putes » russes, et trouvez, s'ils existent encore 2 lieux terrific : le Loft 345, un squat pourri entouré par les graffs qui sert de résidence à des artistes, le Ping Pong et ses concerts. Par curiosité, il peut être intéressant de se perdre dans une banlieue inhospitalière de Canton. Ne manquez pas le temple de Foshan, là où Yip Man – le maître de Bruce Lee – enseignait le wing chun (un kung-fu). Et surtout la nourriture cantonaise réputée comme l'une des meilleures au monde ; les gastronomes auront les yeux qui brillent devant les fabuleux dim sum du dimanche ou à l'évocation du « fabuleux marché de Qinping où l'on trouve tout »..., mais surtout des pénis de chiens, des hippocampes et bébés tortues luths séchés, ou des chiens !
Tout juste arrivé, vous pourrez vous perdre à travers la concession située dans une partie de la vieille ville de Puxi à la recherche de vieilles Feiyue, dans les Cool Docks, dans le joli marché de Tian-zi-fang, ou dans la rue festive de Shimen pleine de Français. Ils sont plus de 20.000 à habiter la ville, car « à Shanghai, on fait de l'argent... Si Lénine a vu Shanghai, il est excusable » écrivait Albert Londres. Le lendemain, visitez le fameux Bund, qui fût jadis avec Ningbo ou Canton, la porte d'entrée internationale de la Chine. Les clippers britanniques y déchargeaient jusqu'au XIXème siècle le poison qui alimentait la concession, ses bordels et centaines de fumeries d'opium. Cette ville-là, celle du Lotus Bleu, n'existe heureusement plus. Les chantiers quasi pharaoniques sont partout, les lilongs (quartiers aux maisons basses) disparaissent au profit d'habitations verticales neuves sans charme. La conquête du troisième millénaire doit-elle réellement passer par là ? Du Bund, on aperçoit Pudong, qui a vu en un temps-record, la construction de milliers de tours de verre dont le symbole de la ville, l'Oriental Pearl TV. Elle domine le quartier devenu un nouveau Manhattan, la nouvelle capitale du monde. En une dizaine d'années, c'est l'équivalent de 6 ou 7 quartiers de La Défense qui sont sortis de la terre de Pudong, qui, il y a 20 ans, n'était qu'un village de riziculteurs avec ses cabanes ou chantiers navals à l'abandon. Aujourd'hui, son PIB équivaut à celui du sultanat d'Oman ! On y construit le futur Disneyland et un Neverland en hommage à Michael Jackson serait à l'étude... Décidément, la ville la plus rouge de Chine (Mao et Zhou Enlaï ont créé le PC à Shanghai) a bel et bien disparu, celle décrite par Malraux (La Condition humaine) ou Von Sternberg (Shanghai Express) également ! Il est l'heure de retourner à Shanghai pour prendre mon avion et surtout fêter les vingt-huit ans de miss Sarah ! Avant une dernière soirée, mon amie Sarah me montre la rue artistique de Moganshan où les galeries d'art prolongent les jolis murs graffés. Une terrasse offre une jolie vue sur quelques buildings de Caoxi. Nous voilà à l'Arkham, où la performance pure des deejays prend le dessus sur une line up plus mélodique, avant de finir dans l'ambiance un peu glauque mais rigolote du Shelter. Au petit matin, je m'en vais vers l'aéroport de Pudong. Demain, j'ai école !
HK Island est un impressionnant étalage de puissance financière, parfois plus que fragilisée par les affres de l'économie mondiale. L’entité administrative spéciale (RAS) de la République populaire de Chine serait la troisième place financière du monde avec NYC et Londres (« Nylonkong »), l’une des dix premières en termes commerciaux. Du haut du Victoria Peak (552 mètres), on découvre une ville absolument unique : une mer de buildings, la péninsule de Kowloon, au nord les Nouveaux Territoires, au sud la mer de Chine et sa centaine d'îles toutes d'une végétation tropicale très dense ; des aigles survolent les collines. C’est à la limite du King Kong de Peter Jackson ! De nuit, c'est l'émerveillement. Propreté, infrastructures d'une grande qualité, pauvreté invisible (mais forcément existante), HK semble un roc, indestructible. Vous découvrirez un peu de cette culture chinoise qui rencontre ici l'Occident, l’importance des dim sum du dimanche, une nourriture d'une grande fraîcheur, l’obsession de l'hygiène, le thé vert qu'on boit sans sucre à profusion... La ville bouillonne, une balade longe la Rivière des Perles. Ici, les parents se lèvent aux aurores pour le traditionnel yoga, l'anglais règne sur son voisin cantonais et les jeunes affichent leur amour en public. De belles escapades vous feront découvrir quelques îles du territoire. L'une d'elles par son polder défie la mer, une autre semble une réplique d'un Hong Kong révolu avec ses maisons basses et ses rues étroites. À Peng Chau, nous sommes dans la Chine des pêcheurs côtiers, celle des bicyclettes. La chose est impossible dans un downtown qui utilise au maximum le moindre espace disponible. À l’heure de quitter Hong Kong, il nous plairait de citer un grand philosophe futuriste : « We will be back ! »
Je m'apprête à poursuivre ma remontée vers Beijing, un très long voyage en perspective, lorsque des bribes de Nicolas Bouvier résonnent dans ma tête. Je comprends pourquoi il a un jour dit quelque chose qui ressemble à cela : la traversée de la Chine jusqu'à la côte est le plus beau voyage qu'un homme puisse faire. Il est donc temps de rejoindre l’un des derniers vieux hutongs d’une capitale, Beijing, qui victime d'un processus d’urbanisation fait disparaître les habitations traditionnelles au profit d'immeubles modernes. Les J.O. ont malheureusement accéléré ce processus. Je n’ai que quelques heures pour apprécier une ville multimillionnaire qui nécessiterait, à mon goût, quelques semaines pour la découvrir. J’en profite pour visiter le Water Cube (piscine olympique), manger, surtout manger de délicieux baozi (pains à la vapeur farcis) ou des jiǎozi, appelés mandu en Corée et gyōza au Japon. Il s’agit de raviolis cuits à la vapeur. L'impression étrange de passer à côté d’une émotion forte, je la ressens lors de la visite de la Cité interdite, pourtant colossale (elle compte 980 bâtiments sur 72 hectares entourés d'un mur de 10 mètres de haut), puis de l’un des segments de la Grande Muraille. J’aurais aimé assister au travail des 700.000 fonctionnaires qui ont bâti le mausolée ou me glisser dans la cour impériale chinoise, pourquoi pas celle de Pu Yi, Le Dernier Empereur de Bertolucci. Pourtant, la « longue muraille de dix mille li » (le li est une ancienne unité de longueur chinoise et dix mille symbolisant l’infini en chinois), comme la surnomment les Chinois, est assez impressionnante. L'administration d'État chargée du Patrimoine culturel l’a mesurée en 2009 : 8.851,8 km de long, dont 6.259,6 km de murs… Unique ! Les hutongs de Beijing, c'est déjà fini. Une escale superbe pour commencer ou terminer un fabuleux voyage !
Asiana me dépose à Chengdu, capitale du Sichuan Opera. Les pluies sensées frappées la région à cette période de l'année se font rares. C'est donc avec bonheur que nous découvrons la ville qui se révèle à charmante certains endroits. À People's Square, les vieux Chinois jouent (comme dans tout le pays), se réunissent dans les traditionnelles tea house pour déguster le thé au jasmin (huamaofeng) ou celui aux feuilles de bambou (zhuyeying) réputé de la province, dansent sur des musiques traditionnelles en suivant des chorégraphies établies. C'est un spectacle assez rigollot que d'y assister, car les Chinois aiment occuper l'espace public, danser et chanter. Nous découvrons le monastère imposant de Wenshu et le quartier commerçant, touristique, dynamique, artisan de Wuhan, ma foi plutôt excellent. Ici, on absorbe la nourriture de rue souvent épicée et relevée du fameux poivre du Sichuan. Réputée, cette gastronomie faite de mapo tofu, yangbao jiding, ganbian sijidan, huiguo rou se révèle délicieuse mais bien trop riche et grasse pour nos papilles. Chengdu compte le plus grand centre d'observation et d'études des pandas. Nous y voilà ! C'est avec beaucoup d'émotion et de magie que nous les observons manger du bambou allonger, dormir et jouer. Les jeunes font des roulades, les nouveau-nés absolument irrésistibles sont pris en charge par des infirmières dont nous sommes jaloux. Kung Fu Panda !
Me voici dans la mythique Xi’an, la dernière cité qui clôt la Route de la Soie… Rien que ça ! La ville n’a clairement plus sa splendeur d’antan, celle qui la faisait passer pour une cité riche et prospère, chargée des mille trésors d’Orient, de myrrhe et d’encens. C’est aujourd’hui un carrefour, un lieu de passage souvent obligé entre les quatre points cardinaux d’un pays qui rentre chaque jour un peu plus dans les tentacules de la mondialisation. Le grand voyageur Bernard Ollivier avoue être déçu lorsqu’il y termine sa remarquable Longue Marche qu’il a commencée à Istanbul. Mais Xi’an, rien que par son nom et son histoire, attire une foule de touristes du monde entier. On y vient admirer l’armée enterrée de l’empereur Qin située à quelques kilomètres, la vieille tour de l’horloge, point névralgique de la cité ou l’impressionnant mur qui entoure la vieille ville. C’est un bonheur que de faire le tour de cette enceinte construite au XIVème siècle par la dynastie des Ming, en enfourchant un vieux vélo qui, à chaque pavé, souffre en même temps que mon derrière. Haute de 12 mètres, la muraille permet aisément de dominer les hutongs (anciennes rues et ruelles étroites) et de plonger dans la Chine ancienne. Mais, harassé par cet interminable périple, je ne rêve, au moment d’engloutir quelques agapes dans le quartier musulman, que d’un bon lit et du célébrissime mausolée de l’empereur Qin (IIIème siècle av. J-C). 8000 soldats en terre cuite de près de deux mètres de haut, tous uniques, ont pour mission de le protéger après la mort. Cette armée enterrée est un rêve d’enfant, né une matinée de mars lorsque je reçus 2 reproductions comme cadeau de ma grand-mère, au même titre que Samarcande ou Tombouctou. Le rêve devient réalité. Mais, en devenant adulte, je suis de plus en plus exigeant après avoir vu quelques fabuleux trésors de l’Humanité. Ainsi, je ressors des 3 fosses bien déçu et peu émerveillé. Le comble…
Comme sa jumelle, Macao a ce statut particulier, Pékin contrôlant les affaires extérieures et la défense. L'ancienne enclave portugaise est un autre îlot de richesse régionale. Ses casinos rapportent quatre fois plus que Las Vegas. Colossal ! Le MGM, le nouveau Grand Lisboa, le Wynn ou le gigantesque Venetian renferment boutiques, hôtel, tables de jeux à n'en plus finir. Le Venetian par exemple avec ses fausses gondoles, ses canaux... ne dort jamais. Un casino ? Plutôt un mall, une ville. Du passé colonial de la ville qui possède le record du territoire le plus densément peuplé au monde (18.000 habitants/km²), il reste des reliques, les pasteis de nata portugaises, de belles églises, de jolis parcs, un centre classé Unesco. Les perspectives sont radieuses pour Macao, seul territoire chinois à tolérer le jeu. Avec la Chine continentale qui s'ouvre au monde et délivre des visas de plus en plus facilement, les voisins japonais et sud-coréen, Singapour, KL ou Taïwan pas loin, c'est le jackpot assuré ! Perspectives faramineuses aurais-je dû dire. Ainsi, les ferries HK-Macao, toujours pleins fonctionnent 24h/24 et des hélicoptères permettent de rallier les deux territoires en un temps-record : au moindre coup de téléphone, les hommes d'affaires officiellement à HK s'envolent dare-dare et évitent scènes de ménage ou divorces ! Enfin, la frontière avec Zhuhai (Chine) est un flux incessant de personnes comme rarement j'en ai vu. Des milliers de Chinois attendent de passer la douane où les navettes gratuites des casinos les y attendent...
Mon amie Sarah me recommande quelques visites. Illico presto, je débarque à Suzhou qui compte des trésors de jardins classés par l'Unesco. Ceux-ci sont des endroits paisibles couverts de cerisiers, pins, magnolias, cyprès, bananiers, ginkgos, camélias, bambous ou très anciens bonsaïs. Ici, des vieux fument en jouant aux cartes, là, les enfants se perdent dans un dédale minéral formé de grottes, passerelles, galeries. Ici, on y trouve des ateliers réputés de soierie, ailleurs, dans le jardin où le grand architecte Ieoh Ming Peï a passé une partie de son enfance, une galerie couverte de tuiles (écailles ?) se love à la manière d'un dragon autour d'un bassin colonisé par les fleurs de lotus. Dans le très beau Jardin de la Politique des Simples qui recrée un paysage de la basse vallée du Yangtze, la végétation exubérante des bambous, mandariniers, saules, grenadiers joue avec les galeries labyrinthiques qui rejoignent les nombreux pavillons. On peut expliquer le nom du lieu par la simplicité de l'existence prônée par Pan Yue, un lettré de la dynastie Jin (« cultiver son jardin et vendre sa récolte de fruits, c'est la politique de l'homme simple »). Quelques délicieux dim sum avalés (dumplings, zifan, pao, zongzi, guōtiē) au pied de ma jolie guesthouse, et je file à la découverte de Tongli et Wuxi. À Tongli, les nombreux canaux rendent la promenade très agréable. À Wuxi, le lac Taï offre la visite insolite d'un temple taoïste qui renferme la statue du Dieu du Paradis. Colossale !
Un bus de nuit très confortable me conduit à Chengde à 350 kilomètres au nord de Beijing. Une guesthouse sympathique m’y attend. Accompagné d’un interprète, je file illico presto soigner mon dos de plus en plus douloureux dans une boutique de tui na (massage traditionnel). Mon soigneur opte, en plus des massages, pour la technique des ventouses, censée stimuler la circulation de l’énergie et du sang… Une vingtaine d’heures plus tard, le résultat dépasse mes espérances, mes douleurs ont totalement disparu. Le tui na joue sur les 6 énergies du corps, le yin et le yang… Diablement efficace pour requinquer un voyageur ! Tout comme ces petites brochettes achetées dans la rue, toujours accompagnées de pain braisé aux épices et d’une bière régionale. À vrai dire, la cuisine chinoise recèle des goûts extraordinaires, entre celle des Ouïghours musulmans, les dim sum du sud, ou celle de Beijing. Chengde est un peu le pays des extrêmes. La ville compte en effet le plus grand parc impérial au monde et le plus grand palais… Par admiration pour le lamaïsme, l'empereur Qianlong des Qing a fait construire 8 temples imprégnés de culture tibétaine. La reproduction du Potola de Lhassa, palais des Dalaï-Lama, est tout à fait remarquable. Pour se concilier les faveurs des tribus non hans (non chinoises) ralliées à la dynastie mandchoue, les inaugurations de temples ou palais coïncidaient souvent avec des actes symboliques d'ouverture vers la steppe mongole. Ainsi, les Qing ont accueilli le retour de 170.000 Turguts d'Asie centrale dans le giron chinois avec l'inauguration du Potola. J’en suis à présent convaincu : les civilisations chinoises ont été le terreau de formidables bâtisseurs, d’architectes de génie qui n’avaient rien à envier à ceux des immenses cathédrales de l’Occident médiéval.
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