Petits moments de voyage, ces chroniques urbaines nous emmènent à travers le monde, de l’Orient aux Amériques en passant par l’Afrique. Métropoles mondiales ou régionales, bourgades mythiques ou villes cauchemardesques, nous vous embarquons donc sur les traces d’un tourisme urbain bien souvent jouissif ! Population urbaine mondiale en forte hausse (70% en 2050), ce tourisme est d’ores et déjà en pleine (r)évolution !
America, America !
Il y a des villes qui racontent des histoires. La rue, l’espace public est investie, l’énergie est là : celle de Gershwin, de la symphonie de Dvorak, de Nougayork ! La ville est fascinante ! Refuge des artistes qui ont fui les loyers prohibitifs de Soho ou du Village, Brooklyn est le plus grand des cinq boroughs de Big Apple (Manhattan, Queens, The Bronx, Staten Island), à lui seul 2,5 millions d’habitants. C’est immense. La première chose à faire c’est bien sûr de courir avaler un cream cheese bagel new-yorkais dans le Deli & Grocery du coin. Les toits de Williamsburgh, village de briques rouges (brownstones) aux escaliers d’évacuation extérieurs typiques, offrent une belle vue sur le Chrysler Building et l’Empire State, rêve de gosse devant King Kong de Cooper et Schoedsack. Les Polonais ont investi Greenpoint, les Italiens des Sopranos et des Affranchis Bensonhurst, refuge d’une puissante mafia. Celle d’Europe de l’Est à Little Odessa pendant que les Russes aiment Brighton Beach. Et puis les nombreuses écoles hassidiques recueillent les orthodoxes haredims que l’on ne peut pas rater à Borough Park. Maelström de nationalités, de flux d’énergie, de taxis haïtiens, africains, bengalis..., de restaurants ethniques, NYC est dynamique. Voici le Spanish Harlem des Hispaniques, un ghetto-blaster de sortie devant ce grocery store du Harlem de Do the Right Thing, ou le Chinatown qui s’étend aujourd’hui sur la carte postale qu’est Little Italy. Depuis le sud de l'île, des ferries s’en vont vers Staten Island dont la vue est magnifique sur la pointe de Manhattan, Liberty Island ou l'historique Staten Island. Vous marcherez des heures pour rallier Grand Central Terminal, la station de Ghostbusters, la Cinquième avenue, Lower Manhattan, le Financial District, Penn Station, Madison Square Garden, Greenwich Village ou Chelsea, South Seaport, ou la cour des miracles qu’est le parc à chercher la statue d’Alice au pays des merveilles. Au bord de l’East River devant le siège des Nations-Unies, vous serez au cœur du monde ! Sur des airs de Rhapsody in Blue de Gershwin, un panorama de la skyline ouvrait Manhattan... En préambule du film, Isaac Davis annoncait : « Il adorait New York » !
Dans la ville de cet enfoiré de Tony Montana, vous voilà de retour dans les années 1980 aux côtés des détectives « Sonny » Crockett et Ricardo Tubbs, qui se enquêtaient au milieu de jolies filles, de courses de lévriers et de chevaux, ou des frontons de pelote basque. et front de mer. Excités d’arriver sur le front de mer, vous serez peut-être horrifié, comme moi, par sa laideur ! En soirée, les roof tops de Miami Beach et le quartier de South Beach sont the places to be pour ceux qui veulent se la jouer en mode Winter Music Conference ! N'oubliez pas de visiter le mémorial anti-cubain - anticastriste plutôt - qui affirme que « les États-Unis sont le leader de la démocratie »..., celui sur l'Holocauste construit en pierre de Jérusalem ou l'immense marécage à l'ouest de la ville que sont les Everglades. Remember Wild Things ! Le weekend, prenez la route N°1 qui relie les keys après avoir avaler un bagel façon Homer Simpson chez Dunkin' Donuts. Vous atteindrez « The Conch Republic », fréquentée par des artistes et intellectuels fortunés, bohèmes, libéraux dès les années 1980... Key West !!! Après une balade à vélo pour découvrir l’architecture qui fait la réputation de Key West, buvez des coups au Sloppy Joe’s, l’un des pubs live music, où Hemingway avait ses habitudes ! Sa maison est à deux pas : il y écrivit L’adieu aux armes, Les neiges du Kilimandjaro ou Pour qui sonne le glas. Ainsi va la vie à Miami Vice !
La Colombie-Britannique est réputée pour ses nombreuses brasseries. Allons donc à celle de Grandville, l’ancien îlot industriel devenu le plus grand marché public du Canada. Quartier artistique et hipster par excellence, devenu l’emblème de la province la plus multiculturelle du Canada ! Le lendemain, voici le quartier chic de Gastown, parfait exemple de la gentrification qui touche le centre-ville. À deux pas de là, nous voici en plein cœur du NY 1997 de John Carpenter à Downtown East Side où la misère agresse le non initié. Ici, les sans-abris aux dents et traits rongés par les drogues et le mauvais alcool essayent de vendre quelques objets sortis des poubelles pour continuer à espérer. Beaucoup sont chinois, encore plus autochtones. Selon certaines études, Vancouver serait la deuxième ville la plus chère du monde après H-K. Deux euros le ticket de métro, huit le sandwich auquel il faut ajouter les taxes et les pourboires supérieurs à 10% du total. La logique du marché, encore et toujours ! Nous voilà dans l’un des plus vieux et plus grand Chinatown du monde. C’est ici que dès le milieu du XIXème s. se sont installés les Chinois venus travailler dans les mines du mont Caribou, plus tard dans la construction du chemin de fer de la Canadian Pacific, la compagnie créée en 1881. À Chinatown, nous voilà dans le jardin du docteur Sun Yat-Sen, premier jardin de style Ming construit hors de la Chine. La Chine de Suzhou n'est plus vraiment très loin !
Greyhound. D.C., capitale d'un État surpuissant, ressemble à une petite ville : calme et aérée. Mon ami Paul qui enseigne le français dans la fac afro-américaine d’Howard, habite un quartier « chicos » de Capitole Hill. Le Capitole, cette énorme rotonde d'un blanc immaculé, est peut-être davantage le symbole de la ville que la Maison Blanche, bien décevante. Elle me rappelle juste la scène où dans Independance Day, le bâtiment et l'obélisque sont anéantis par des Martiens forts peu sympathiques. Adieu District Federal ! J’apprécie les drums circle du dimanche, le prix peu élevé des transports et de la nourriture, des musées nationaux gratuits. Il y a pourtant tant de choses qui me déplaisent dans ce pays : le prix exorbitant des études dans des universités presque toutes privées, une conception bipolaire de la politique qui ronge peu à peu notre vie politique nationale, ou le nombre incroyable d'obèses parmi les obèses. Je suis choqué de ce mémorial dédié aux victimes du communisme planté en plein centre-ville. DC est une vieille dame qu'on n'ose déranger pendant sa sieste. Paul et moi enfourchons deux beaux beach bikes pour une balade dans une ville agréable mais trop calme à mon goût ; la circulation automobile est presque inexistante. Il me montre Georgetown, son campus immense, ses superbes maisons hors de prix qui ont été le lieu de tournage de L'Exorciste de William Friedkin, dans le top dix des meilleurs films d’horreur. Je reconnais les célèbres escaliers qui voient la fin tragique du père Damien Karras !
Les espaces de verdure sont partout, le calme et le silence règnent en maîtres sur d’innombrables rues ombragées où l’on ne croise pas un chat à l’exception de quelques cyclistes. Les maisons ont un vrai charme avec leurs escaliers en colimaçon extérieurs, partie intégrante de la ville. Cette ville bilingue où l’on ne sait plus vraiment si l’on doit aborder les gens en français ou anglais me parle d’autant plus que les Francophones se sont débarrassés de notre vouvoiement qui, au fond, ne sert pas à grand-chose. L’influence française est très forte, ne serait-ce que ces cafés qui quadrillent les blocks.. Ainsi, le Mont Royal est le quartier où la communauté française a ses habitudes. La ville est traditionnellement divisée entre Francophones à l’est et Anglophones à l’ouest. À Montréal, la vie culturelle est florissante l’été, les festivals s’enchaînent comme si chaque jour était le dernier. Le marché Jean Talon transpire les odeurs visuelles. C’est un tableau de magnifiques cantaloups, bleuets, légumes de saison, pêches et fleurs. On se tâte puis on file au Mont Royal rejoindre les amoureux des percussions pour une session drums circle typiquement nord-américaine. C’est un joyeux bordel avec des jongleurs, acrobates... Après quelques jours, je me rends compte aussi que beaucoup de gens fument de l’herbe à Montréal, que ce soit dans la rue ou aux terrasses des cafés. Boire une bière dans un parc semble davantage gêner la police. D’ailleurs, on me raconte qu’ici comme à NY, c’est Domino’s Weed, livraison à domicile avec échantillons représentatifs des produits ! C’est ma dernière journée à Montréal. Au hasard des volontés de mon vélo, je retourne à Jean Talon, je file à Jean Drapeau, je flâne dans une ville sensationnelle. Me voilà devant la plus ancienne brasserie d’Amérique du Nord (Molson Dry), à Sainte Catherine, à regarder quelques parties de beach volley jouées face à de très belles fresques street art, ou dans des rues d’une extrême tranquillité. Montréal, on aime !
Salt Lake City pourrait être une étape sur la route vers Ogden et son historique Quarante-neuvième rue, celle des anciens bordels d’une ville qui permettait la conquête du Far West. Ici, c’était Lucky Luke ! Le fil qui chante ne chante plus mais le cheval de fer continue donc de rugir, celui de l'Union Pacific. Il me dépose à Salt Lake à proximité du Delta Center des Utah Jazz et de Temple Square, le QG de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (les mormons). Les binômes missionnaires expliquent leur foi et croyances. Je visite le centre des visiteurs posé au pied de l’impressionnant temple ; au sommet, Moroni, sa trompette ornée d’une flèche, semble proclamer l'Évangile éternel aux habitants de la terre. Temple Square est un immense complexe qui symbolise à merveille la puissance de l’Église : on y trouve un énorme centre de conférences, le Joseph Smith Memorial Building, les bâtiments de l’Église, de leur prophète Thomas S. Monson qui dirige le Conseil des Douze Apôtres, la Lion House et autres. Les fastfoods et diners à l’américaine ? Je les fuis comme la peste lorsque je suis en France. Avant un retour au pied des montagnes Wasatc, je m’y engouffre avec sourire lorsque je suis au pays. Je ne peux donc pas résister à l’appel du jukebox au Johnny Rocket’s. C’est un peu Happy Days, Fonzie et Richie en moins !
À Seattle, tout est cher, et pour n’importe quoi. Bien trop ! La tour Space Needle ressemble même à une belle arnaque. L’incontournable marché Pike Place, l'un des plus anciens marchés de producteurs aux États-Unis, est situé face au premier Starbucks (1971) et à côté du Gum Wall, entièrement recouvert de chewing-gum usagés. C’est bien dégueulasse ! Les filles cherchent, en vain, un lieu de tournage de Grey’s Anatomy. De Seattle, je ne retiendrai que le Museum of Pop Culture, conçu par Frank Gehry en collaboration avec Dassault Aviation et financé par Paul Allen, le cofondateur de Microsoft, dont le siège est à vingt minutes de route. Pour les amoureux de science-fiction ou de fantasy, c’est un festival d’objets cultes, du Magicien d’Oz à Dark Crystal, en passant par Alien, Blade Runner, Terminator ou La planète des singes. Les guitares sont également à l’honneur. On y célèbre Nirvana, Buddy Holly, Muddy Waters, Hendrix, Stevie Ray Vaughan ou le favori de mon père, Woody Guthrie… Bref, on ADORE !
Prenons la route de Portland, une ville réputée écologique. Elle s’est spécialisée dans le multimédia (Silicon Forest), les vêtements de sport, les brasseries artisanales, la torréfaction (« coffee shops ») ou les « farmers markets », qui ont fleuri au cours des dix dernières années. Également pour les comics avec le troisième éditeur américain (Dark Horse), qui s’est spécialisé dans l’adaptation de films, et le plus important regroupement d'auteurs indépendants (Periscope Studio). Enfin, dans le recyclage des déchets… Étrange pour un centre-ville un peu crado et squatté par pas mal de marginaux !
Il est déjà tard lorsque les lumières de la ville se rapprochent. Les wedding chapels sont sur le chemin du Strip, tout comme le célèbre cow-boy illuminé. L’argument commercial annonce fièrement que « Jon Bon Jovi s’est marié dans cette chapelle » ; plus loin, c’est Elvis qui a célébré son union ici ! Notre hôtel n’est pas très loin du Strip et offre une vue imprenable sur la Sphère, recouverte h24 de 54.000 m2 d'écrans DEL. C’est beau ! Maghnia est un peu fatiguée par ses longues heures de conduite. Découverte du Strip dès demain ! Si l’affichage de luxe, de spectacles grandioses et de méga hôtels est assez impressionnant, je suis très loin d’être emballé par la promenade mythique. Les monstres de complexes (le Wynn, Treasure Island, le Mandalay Bay, le STRAT, The Mirage, le Flamingo, le Bellagio…) font la cour aux passants, pendant que quelques jeunes gens, beaux et dévêtus, distribuent des flyers ou racolent les touristes pour obtenir un cliché moyennant quelques billets verts. Maghnia oublie sa donation aux pauvres pour claquer quelques dollars dans des machines à sous. Elle cherche les derniers bandits-manchots. The Venetian accapare plusieurs heures de notre journée. Le plus grand hôtel du monde (plus de 7.000 chambres et suites) compte 150 boutiques, des fontaines « antiques », une annexe du Guggenheim et des gondoliers… Nous sommes de retour à Paris Las Vegas. Une tour Eiffel, moitié moins grande que l’originale, domine le décor, reproductions de bouches de métro, de l’arc de Triomphe, de cafés parisiens, ou de la Fontaines des Mers de la Concorde. Nous poussons donc les portes de plusieurs casinos, malheureusement pas celles du Riviera, détruit depuis de longues années. On le voit dans Austin Powers, mon Scorsese préféré (Casino), ou Les diamants sont éternels. Le septième James Bond se déroule également sur Frémont Street, une rue piétonne du centre-ville, où se situent les plus anciens casinos de la ville. Le show, visuel et musical, est sublimé par un écran géant long de 460 mètres. Images de l’espace ou autres spectacles s’y succèdent pendant que SlotZilla, une tyrolienne, tracte les touristes au-dessus de la foule. C’est assez fou. Avant de rallier notre cocon pour de précieuses heures de sommeil, il nous faut faire de l’essence. La voiture, garée devant un 7 Eleven, a disparu… Est-ce notre faute si une pancarte minuscule nous a induits en erreur ? Nous sommes loin d’être seuls dans la salle d’attente de la fourrière… De bonnes heures de repos de perdues, 450 dollars, et un beau traquenard ! Loin de Downtown Las Vegas, ce week-end nous permet de découvrir une ville où certains ont choisi d’y vivre. Nous déjeunons dans un café coréen très ancien, joliment décoré, et surtout hors de prix ! Une photo devant le « Welcome to Fabulous Las Vegas », dessiné par Betty Willis, s’impose. Le panneau est le parfait symbole du Googie, un style californien né dans à la fin des années 1940, qui se diffusa le long des routes américaines (motels, cafés, ciné-parcs…) dans la décennie suivante. Le style futuriste de Los Angeles puise son inspiration dans une période marquée par la conquête spatiale et l’Âge atomique. Ce soir, nous testons le Bacchanal, le buffet de César. Le choix est immense : homard, crabe, poissons, viandes cuisson minute, huîtres, cuisine asiatique, péruvienne, tex-mex, méditerranéenne…, tout y est délicieux. Dans la chambre 2452 du Caesars Palace, le very good trip devient Very Bad (Trip). L’ancienne « Mecque » de la boxe est d’ailleurs la toile de fond de nombreux films hollywoodiens tels Showgirl, Intolérable Cruauté, Rocky III, ou Mars Attacks!. Quel film ! Aux alentours de la ville, le désert des Mojaves abrite le Red Rock Canyon National Conservation Area, où les parois de grès rouge se succèdent dont la plus haute mesure 1.000 mètres de haut. Plus loin, Death Valley est un rift endoréique dont le point le plus bas est à 85,5 mètres sous le niveau de la mer. Prospecteurs de champs aurifères qui cherchaient à traverser la vallée furent piégés plusieurs mois dans une vallée dépourvue de toute vie animale ou végétale. En quittant « Burned Wagons Camp », une femme aurait crié « Goodbye Death Valley ! ». À Artist's Palette, la diversité des couleurs sur les roches est impressionnante, et à Badwater, une dépression longue de 12 km, ressemble à ce qui se fait de plus hostile sur cette terre. Il n’y pleut que 48 mm/an ; le soleil nous tabasse déjà, l’air étant brûlant.Sur le chemin vers Downtown Las Vegas, une station-service affiche fièrement « Area 51. Alien Center ». La zone militaire, sous haute protection, est derrière ces formes rocheuses que nous apercevons au loin. Que referme-t-elle ? « What happens here, only happens here » !
Cleveland, la ville de King LeBron, sera notre première étape. La ville est réputée pour son Rock and Roll All of Fame de l’architecte Ieoh Ming Pei, un énième « All of Fame » à l’américaine qui reçoit nombre de critiques. « We're not coming. We're not your monkey and so what ? » avait clashé les Sex Pistols. C’est d’ailleurs à Cleveland que le disc jockey Alan Freed utilise le premier le terme « rock and roll » sur la radio WJW en 1951. Derrière la « tâche de pisse » (toujours Johnnie Rotten), des dizaines de bikers se sont donnés rendez-vous devant le lac Érié. Ils font cracher les watts et les moteurs. Des Latinos ou des noirs, très peu mélangés, jouent au beach volley pendant que l’un d’entre-eux s’occupe de balancer du gros hip-hop made in USA. C’est cliché… mais c’est bon ! Ces bikers, souriants et bienveillants, me rappellent que j’ai toujours trouvé les Américains très accessibles lors de mes nombreux voyages au pays. De nuit, nous cherchons en vain des traces de l’ancienne Standard Oil de Rockefeller. À une grosse heure de là, l’atmosphère de Berlin n’est pas vraiment la même. Nous sommes en pays amish, celui des calèches avec clignotants, des coiffes, des bretelles et vêtements austères, des bretzels, des retraites, écoles et services de santé autogérés, bref de ce groupe chrétien d’origine germanique dont la population double tous les vingt ans !
Il s’agit de faire la route pour se rendre dans le Airbnb décoré de pièces de l’industrie automobile qui fit la gloire de Détroit et sa fameuse franchise NBA bien rugueuse (les Pistons d’Isaiah Thomas) ! Une sirène de police nous colle au cul, car Sarah ne s’est pas arrêtée où il faut. Le policier, plutôt compréhensif, semble parano. Son doigt est déjà sur la crosse de son revolver, la faute à cette société violente. On n’en mène pas large dans ce pays où les cops se prennent pour des cow-boys ! Pendant les 3h30 de route ralliant la MOtor TOWN, Maghnia et moi espérions tant écouter, des heures durant, ces artistes qui ont magnifié le son soul-funk (Gladys Knight, Jackson Five, Temptations, Stevie Wonder, Marvin Gaye, Smokey Robinson, Diana Ross ou Lionel Ritchie)… À tort. Le surnom de Hitsville U.S.A concernant Détroit est bien trouvé. Cet enfoiré de Berry Gordon (cf. Standing in the Shadows of Motown), en exploitant au max le son The Funk Brothers, a quand même fait un sacré bon boulot. Les visites sont complètes… En roulant sur 8 Miles, les enceintes Marshall (Mathers) de la Chevy crachent du Eminem, la base ! Dans la périphérie, Détroit ressemble bien à ces Shrinking Cities que l’on étudie avec nos élèves. Flint, documentée par le local Michael Moore dans Roger et moi, n’est pas très loin. La crise des subprimes a fait plonger la ville dans une profonde dépression, devenant l’une des plus criminogènes du pays. Détroit fut l’épicentre de l’industrie automobile, le siège de General Motors (Buick, Cadillac, Chevrolet, feu Pontiac et Oldsmobile) ou de Ford. Les 49.000 m² du musée de ce dernier valent bien le prix très élevé payé à l’entrée. Il célèbre le « génie » industriel de la chaîne d’assemblage d’Henry Ford, celui de l’Amérique des années 60, les diners de la Route 66 ou le culte de l’automobile. On y trouve le bus original de Rosa Parks, les voitures présidentielles dont la cariole Brougham de Teddy Roosevelt ou la dernière Lincoln utilisée par JFK à Dallas. Énorme ! Le lendemain, après Corktown en voie de gentrification, direction Michigan Central qui vient de réouvrir après des travaux pharaoniques. Ford les a financés, pardi ! Dans un centre-ville assez agréable, des évangélistes noirs annoncent que Jésus est de leur couleur. Un groupe de blancs les interpellent pendant qu’un biker fait cracher le moteur de son énorme Harley. Sur Euclid Avenue, il est dur de trouver le Guardian Bank Building incroyablement décoré. Plus tard, nous testons les fameuses « mom’s spaghetti » de Lose Yourself ; 11$ sans les taxes, la pasta box de spaghetti aux « rabbit balls » à moitié remplie, il se touche Slim Shady !
Si la vue de la skyline ne répond pas aux attentes, notre programme de visite est intense. Nos balades de plusieurs dizaines de kilomètres vont d’un centre vertical aux banlieues pauvres et un peu craignos de South Chicago, celles des Polonais, des catholiques irlandais, aujourd’hui des noirs et des latinos. Nous tombons par hasard sur l’ancienne maison de Louis Armstrong lorsque le Hot Five jouait au Sunset Cafe, l’un des clubs de la Ceinture Noire de Chicago. L’église Ebenezer M.B. est l’endroit rêvé pour l’office du dimanche, car c’est en son sein que fut célébré le premier gospel choir en 1921. Ici chantèrent Mahalia Jackson ou Dinah Washington devant la figure de Thomas Andrew Dorsey, « Father of Gospel Music ». Il fait de plus en plus chaud lors de nos balades urbaines, qui nous conduisent des maisons d’Al Capone ou de Walt Disney au panneau de départ de la Route 66 ou à The Yards, les abattoirs de Chicago. J’avale un Chicago-style hot dog, le roi de l’Exposition Universelle de 1893… Tranches de tomate, sel de céleri et condiments (mustard, rondelle de cornichon, piment mariné et relish vert) relèvent la saucisse de Francfort pur bœuf cuite à la vapeur est servie dans un bun aux graines de pavot. Un délice jamais accompagné de ketchup ! La porte monumentale mentionnant « Union Stock Yard Gate » indique le début d’un territoire qui permit à la ville de s'imposer comme la plaque tournante du négoce de bétail, provenant des Grandes Plaines, du Kansas, Texas ou Missouri. À leur apogée, le complexe de 3 km², 80 km de routes et 210 km de voies ferrées, était capable d’abattre un milliard de têtes de bétail en six ans, de traiter 14 millions d’animaux annuellement, et faisait travailler 40.000 personnes… Monstrueux ! Dans La Jungle, équivalent américain à Germinal, Upton Sinclair dépeint, dès 1905 et admirablement bien, l'exploitation des immigrés lituaniens ou allemands. En hommage à Sinclair, à Hergé qui dessine les abattoirs dans Tintin en Amérique, ou plus vraisemblablement à Michael Jordan, Maghnia recherche désespérément le célèbre maillot numéro 23 des Chicago Bulls. C’était l’époque des Kukoc, Rodman, Pippen, de Magic ou de la Dream Team ! Dans la périphérie chic, écureuils et lapins se baladent tranquillement. Nous chassons les maisons de Frank Llyod Wright (notamment Robie House), protagoniste du style Prairie, concepteur des maisons usoniennes (habitations individuelles abordables en grande série) en harmonie avec leur environnement. Le fondateur de l’architecture contemporaine en quelque sorte ! Le maître fut d’ailleurs reconnu plus grand architecte américain de l’histoire par l’Institut des architectes américains. Les vertes pelouses d’Oak Park accueillent ou ont accueilli de nombreux artistes de premiers plans tels J. Sturges, Rice Burroughs, Avildsen, le fondateur de Mac Donald’s ou ce connard de Sam Giancana. Nous sommes ici pour visiter la maison de famille d’Hemingway, chantre de la Génération perdue avec Scott Fitzgerald ou Steinbeck ; son Vieil homme et la mer me déçoit. C’est le jour de son anniversaire, un beau hasard ! Chicago regorge encore de trésors, de ses fameux buildings (le Home Insurance ou la Willis Tower) au lac Michigan ou à cet ancien speakeasy du temps de la Prohibition. Les Intouchables, c’était ici ! Après ses hot-dogs, il faudra tester la fameuse Deep-dip pizza locale qui ressemble plus à une quiche qu’à une pizza napolitaine. C’est soir de match à Wrigley Field, l’antre des Cubs. Pour une fois, notre ligne de métro, qui nous ramène chez notre marchand de sommeil, ne ressemble pas à un repaire de shootés ou de marginaux. Dans le quartier de Hyde Park, enclave blanche et huppée au milieu du ghetto latino-noir, une université privée a formé la grande école de sociologie (H. Becker, E. Goffman,) ou certains des plus brillants intellectuels de notre époque (98 Nobel, 9 médaillés Fields ou 24 Pullitzer) dont H. Arendt ou P. Ricoeur, les artistes P. Roth, N. Ray ou M. Nichols, les politiciens Sanders et Obama. Une ridicule plaque commémore même le premier baiser de l’ancien couple présidentiel. L’université est enfin le berceau du courant économique libéral et monétariste du laissez-faire et du libre marché, celui des Friedman, Stiegler ou Hayek, qui imposa les politiques ultralibérales des années 1980. Demandez donc à Thatcher ou Reagan, aux « Chicago Boys » chiliens des années 1970, soutiens de Pinochet, d’où viennent leurs idées merdiques et criminelles ? Nous voici à Chess Records, le label historique du blues, rock'n'roll et rhythm and blues, celui des Howlin’ Wolf, Chuck Berry, John Lee Hooker, Buddy Guy, Etta James, Sonny Boy Williamson II, Albert King et bien d’autres. C’est ici que Muddy Waters enregistra son Rollin’ Stones Blues choisit comme nom par le plus grand groupe de l’histoire du rock… Tout simplement légendaire… À deux pas de Cloud Gate (« The Bean ») d’Anish Kapoor, la scène du théâtre Harris du Millennium Park accueille gratuitement The Arab Blues et surtout Rakesh Chaurasia (au bansurî) et Zakir Hussain (au tablâs). Ce mardi, c’est breakfast dans le quartier portoricain avant la chasse aux murals « Grettings from Chicago » et Vivian Maier du brésilien Kobra.
Let’s go to Minneapolis ! Sur la route du Mall of America, le centre commercial XXXXXL, Pepin est connue pour être l’endroit de naissance de Laura Ingalls Wilder, l’autrice de La petite maison dans la prairie. Le mall est gigantesque, présente le costume de Forrest Gump devant un Bubba Gump Shrimp Co., ou abrite un parc d’attraction avec des montagnes russes. Non, nous ne rêvons pas ! C’est peut-être le seul endroit fun d’une ville ennuyante au possible, qui accueille – non loin de notre logement qui affiche fièrement ses orientations progressistes – une grosse communauté somalienne. Les œuvres de Kobra (Prince et Bob Dylan) qui glorifient les géniaux musiciens derrière nous, il ne reste que peu à faire. Maghnia et moi découvrons, avec curiosité, le musée de la farine situé dans l’ancien Grand Moulin, lieu d’une catastrophe qui fit dix-huit morts (en 1878). Avant de partir vers les Grandes Plaines et l’Ouest sauvage, Maghnia se dégotte des habits de cow-girl. Sur la route, nous entrons dans le « Free State of George Floyd » situé à l’emplacement exact du meurtre. Le mémorial, le square communautaire ou la liste longue comme le bras de citoyens assassinés par des policiers, c’est un choc pour nous tous !
Direction le sud-est du centre-ville et Distillery District, l'exemple de zone industrielle d'architecture victorienne la mieux conservée d'Amérique du Nord ; le quartier rénové est le parfait exemple de gentrification, où l’on vend à prix d’or un canapé pour une séance de cinéma en plein-air. On y revient pour un carrot cake matinal, avant de rallier le marché de Lawrence, l’Iron Building puis les sommets de la CN Tower, située en face de l’antre des Blue Jays, la seule équipe canadienne à avoir gagné les World Series de MLB (baseball). Le tarif exorbitant pour ne rallier qu’une partie des 553,33 mètres de la tour n’en vaut pas la peine. Mais la CN reste le plus beau symbole d’une ville née par et pour les gratte-ciels ; c’est d’ailleurs l’une des villes du monde qui en possède le plus ! Pendant que certains jouent les bourgeois dans le resto de celle-ci, Rodrigo, la blonde et son cheum parcourent un Toronto, finalement assez vert et fort séduisant. Nous voici au Hockey Hall of Fame pour une session ludique assez loufoque ; en cabine, on s’essaye – à tour de rôle – au rôle de commentateurs ou de journalistes sportifs. La météo capricieuse pourrit notre début de voyage, notre découverte de Kensington Market ou de la sympathique Graffity Alley ; j’y déniche un Obey. Il pleut des cordes sur Chinatown, qui – avec Kensington – est le parfait exemple du cosmopolitisme d’une métropole multimillionnaire qui compte deux-cents origines ethniques. La devise de la ville n’est-elle pas « Diversity Our Strength » ? Ainsi, Kensington District fut construit puis transformé par des juifs ashkénazes, les immigrants irlandais, écossais, caribéens, portugais, iranien, vietnamiens ou d’Afrique de l’est. Dynamique, Toronto a beaucoup à offrir. À Toronto, plus d’un jeune sur deux dans la province de l’Ontario dit souffrir d’un trouble mental, et la ville compte plus de dix mille sans-abris et la consommation de crystal meth, la drogue popularisée par Walter White et Jesse Pinkman !
Nabil, un Tunisien d’une gentillesse extrême, habite la banlieue d’Ottawa, capitale de ce pays de 10.000.000 km². Le centre est morose. Seule la colline du Parlement, les bords du fleuve des Outaouais et Market Bay semblent intéressants. Devant celui-ci, un petit concert fait tranquillement passer la petite douceur que propose BeaverTails. Il faut prendre quelques forces pour apprécier notre petite balade dans le parc du Gatineau. Pour certaine, le retour est difficile, la faute en partie à un réseau de transport inexistant au sortir du lac rose. Par gentillesse et compassion, Nabil nous emmène dans son jardin secret, le glacier fétiche de ses garçons, avant de nous raconter sa vie d’immigré. Tout n’est pas rose au pays de l’érable !
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