top of page
Photo du rédacteurCoolinClassic

Crossroad - Togo & Bénin

Dernière mise à jour : 16 oct.


Moins de 24h après avoir posé pour la première fois le pied sur le continent africain, ma nièce Charlotte vit – déjà – ses premières galères de voyageuse ! Nous tentons de rallier Lomé dans un bus de fortune stoppé toutes les dix minutes par un chauffeur qui tente de soigner un moteur à l’agonie. Peu importe, « on est ensemble ! » En soirée, son joli mollet est affublé d’une énorme brûlure au second degré fait par le pot d’échappement d’un zémidjan (moto-taxi), probablement shooté au Tramadol, cet antidouleur surdosé qui fait fureur dans les milieux populaires de la région. « Té une péstiféré ! » n’arrêtera pas de lui dire le petit gros à la fin du voyage. Au retour de la première demi-finale de la CAN, nous comprenons que notre logeur n’a pas suffisamment de crédit sur son compte… L’électricité de notre hébergement tombe en rade, l’eau – désormais sans pompe – également ! Il débarque à 1h15 du matin la réarmer, avant de demander de payer du crédit… La blague ! Après un moment de douceur matinale sur la plage de ce carrefour économique d’une ville née à la fin du XXème siècle, nous visitons le célèbre marché des féticheurs du quartier d’Akodésséwa. Si vous cherchez des crânes, os, cornes, défenses, peaux et épines d’animaux (chats, hiboux, porc-épic, chiens, crocodiles, serpents…), vous êtes au paradis ! C’est surtout le carrefour de ces « charlatans » guérisseurs qui proposent la consultation à 2.000 FCFA. Séverin nous assure que les animaux sont tous morts de causes naturelles… Alléluia !



Sur la route de Ouidah, une voiture nous permet de faire un stop à Agbodrafo dans l’ancienne maison d’un commerçant écossais qui fit fortune en dépit de l’abolition de la traite atlantique par les Britanniques. Sous la partie des maîtres, nous sommes accroupis dans la poussière à nous imaginer la (sur)vie des esclaves avant leur voyage vers le Nouveau Monde. Nous réactiverons cette mémoire de la Côte des Esclaves dès notre arrivée dans le Bénin voisin. Dans Les Passagers du vent, l’une des séries BD de ma jeunesse, François Bourgeon fit « œuvre d’historien » (dixit Catherine Coquery-Vidrovitch). Son Comptoir de Juda (tome 3) se déroule ici… Je me rappelle d’Isa et Mary dégoûtées par la visite des geôles, d’Hoel empoisonné par un Vodounô. Car, si l’ancien royaume a joué un immense rôle dans le Commerce triangulaire, il est aussi célèbre pour être un entrecroisement des « religions ! Avant de naviguer dans les méandres du vodoun, nous nous plongeons dans le passé esclavagiste de la ville au travers du parcours mémoriel en essayant de suivre les explications incompréhensibles de Massané. Nous voilà place des enchères, devant l’Arbre de l’Oubli, le Mémorial du Souvenir, l’Arbre du Retour, les cases Zomaï ou la symbolique porte de Non-Retour. Le temps d’une bière avec Massané et c’est l’heure de la finale ! Le bar que nous avons choisi est plein des supporters des Black Eagles (Nigéria). Par miracle, la Côte d’Ivoire remporte son édition de la CAN, cette compétition qui passionne le continent… et nos élèves ! Beaucoup de footeux squattent le bar sans rien consommer sans que serveurs ou direction ne s’offusque. Ce soir, le géant voisin a reçu un inattendu Coup du marteau !

Dans le temple des Pythons, un iroko (arbre) sacré âgé de 600 ans conserve les esprits des ancêtres. Dans le sanctuaire, des pythons royaux, qui se nourrissent eux-mêmes à travers la ville, sont honorés telles des divinités de ce culte vodou. Pendant des jours, nous nous amusons à reconnaître leurs adeptes, reconnaissables à leurs scarifications appelées « 2x5 ». C’est le cas de la quatrième personne sur la banquette arrière de ce taxi (trop) partagé : deux traces parallèles à cinq endroits du visage… Nous pénétrons, toujours accompagnés, dans la partie de la forêt sacrée de Kpassè accessible aux non-initiés. Dans la petite forêt dense humide, au croisement des cultures houéda et d’Abomey, des arbres sont vénérés dont cet iroko, symbole de la réincarnation du fondateur du royaume houéda. Mais aussi les divinités de la maladie, la guérison (Sakpata) ou de l’orage et la foudre (Hêbiosso). J’espérais reconnaître Ogun Ferraille, le guerrier qui lutte contre la misère, apparu dans Sous le signe du Capricorne (Corto Maltese). Ici comme à Abomey, nous vivons des jours et des nuits emplis de mysticisme. On nous parle du Fâ (langage/message de communication avec les Orishas et les ancêtres), de Mawu (la divinité créatrice, « ce que l’on ne peut pas dépasser »)… Choupi et moi faisons le lien immédiat avec le candomblé brésilien ; nous nagions aussi en plein mysticisme à Bahia ! Pour synthétiser ce complexe carrefour culturel, Pierre Verger écrivait, dans Dieux d’Afrique, que le vaudou est l’ensemble des cultes « qui s’adressent aux forces de la nature et aux ancêtres divinisés et forment un vaste système qui unit les morts et les vivants en un tout familier, continu, solidaire. »

Dans la cité lacustre de Ganvié, une énième « Venise » située sur le lac Nokoué, d’anciens esclaves sont devenus « hommes de l’eau » (Tofinous) pour échapper aux razzias esclavagistes ; ils ont développé leur propre langue. Tofinu, notre guide Eric se prend pour une star. Les maisons sur pilotis dominent des anciens marécages, jadis bien plus poissonneux ; ils sont sillonnés par des pêcheurs qui privilégient les techniques ancestrales de la pêche acadja (parcs halieutiques artificiels) et à l’épervier. Le geste du lancer du petit filet est gracieux. Au sortir de la zone humide, direction la magnifique ancienne mosquée de style afro-brésilienne de Porto-Novo… Flash-back de Maghnia qui reconnaît illico l’église San Salvador de Bahia ! Celui qui porte le nom de Bernard Lama nous escorte, non pas sur un terrain de foot, mais dans sa famille qui modèle des tambours pour le bonheur des djembefola de la région. Puis sur la rivière Noire à Adjarra… Le souhait le plus cher de Charlotte sera-t-il exaucé ? Point de crocodiles, malheureusement ! Nous rallions un village paumé non loin de l’écosystème riche de palétuviers, fougères et nénuphars. On y produit du vin de palme, un Sodabi qui chauffe bien le gosier. Le « kill me now » porte bien son (sur)nom ! Nous voici face à un nouveau carrefour, gardé encore et toujours par Papa Legba, l’Iwa (Esprit) du vaudou, messager des divinités, gardien du croisement des mondes surnaturel et humain. L’endroit serait parfait pour écouter une chanson de l’une des idoles blues de mon père, à savoir Robert Johnson qui bâtit sa légende sur ce « pacte avec le diable » qui le fit maestro de sa guitare… « Standin’ at the crossroad, baby, risin’ sun goin’ down ». Crossroad, un chef d’œuvre à écouter avant minuit, heure où Legba devient malfaisant et ferme le chemin ! De retour à Cotonou, nous voici face au plus long mur de street art du monde. Un mastodonte fait de bijoux signés Paola Delfin ou Kobra ! Beaucoup d’œuvres mettent en avant les traditions locales, ou les agodjie, ancien régiment militaire entièrement féminin du royaume du Dahomey. Une statue colossale (30 mètres, 150 tonnes) rend hommage aux « Amazones du Dahomey » comme les appelait les colons occidentaux. Ce sont les ancêtres des guerrières du Wakanda (Black Panther) !


Entre la chaleur et l’humidité étouffante, la poussière, les coupures de courant, l’akassa, cette pâte de maïs sans saveur, ou le piron – pâte de farine manioc –, nos vacances n’ont rien de reposant. Elles ne le sont d’ailleurs jamais ! Midi et soir, nous nous demandons ce que ces menus de restaurants à la décoration kitsch serviront réellement, …pas grand-chose le plus souvent ! Parfois, on y trouve que des sodas tièdes par la faute des innombrables coupures énergétiques. Il faut attendre près d’une heure pour un menu des plus simples, assurément le temps d’aller faire les courses, acheter le pain ou le poulet bicyclette. Cette Afrique est une école de la patience... Au croisement des chemins, nous prenons la direction du nord. Sur la route de la capitale historique du royaume d’Abomey, la terre – toujours aussi rouge de latérite – vomit des tonnes de plastique. Non, le plastique n’est pas fantastique, il est bien tragique ! Et pourtant, les rois de la débrouille consignent ou recyclent (presque) tout. Chez Sabine, le lieu parfait pour un repos mérité suivi d’un magnifique petit-déjeuner, on « s’offusque » que je jette les bouteilles vides. Plus tard, on croise un jeune écolier qui porte un sac d’école fait avec un vieux sac de riz… Sur la route du royaume, nous passons à côté d’Allada, d’où venaient les ascendants de Toussaint-Louverture qui furent vendus comme esclaves pour avoir déplu au souverain… Dans les rues poussiéreuses d’Abomey, le « Donne-moi 100 francs » des enfants est un jeu toujours accompagné de sourires. Les Béninois sont ainsi d’une profonde gentillesse, à l’image de Mustapha qui nous préparait – à Cotonou – ses deux thés aux clous de girofle ou d’Alexandre qui nous conduit vers le sud. Adepte du vodoun, il rigole de la mise en scène du Zangbéto, chrétien, du dogme de Marie qui a eu « un enfant sans mettre le zizi. C’est pas possible ça » ! Nous visitons l’un des palais royaux du mythique Behanzin en compagnie d’élèves dont Charlotte admire la concentration. Leur enseignant conte pourtant chaque bas-relief pendant des heures… Si c’est presque un calvaire, le spectacle est plutôt dans les commentaires de cette Ghanéenne ou dans les expressions du guide qui nous met en garde : « il y a la sécurité renforcée et l’homme – espion – peut vous dépouiller sans vous toucher. » Son auditoire sage, il précise. « Nous allons évoluer », avançons donc. Magique ! Le soir, c’est Voodoo Child, encore plus mystique qu’un solo psychédélique de Jimi Hendrix ! Nous sommes les seuls blancs à assister à une cérémonie royale en langue fon. Celle d’une société de masques du sud Bénin (Zangbéto) rêvée par Maghnia ! Le Zangbéto, c’est la jonction de la « nuit » et du « chasseur ». En plus de payer un tribut élevé, Charlotte se fait racketter une bière par l’une des princesses royales aussi souriante que Karaba… Le lendemain, le roi du Dahomey assis sur un trône climatisé par l’énorme éventail tenu par un boy est présent à l’une des deux autres cérémonies auxquelles nous assistons. Je suis presque déçu de ne pas en vivre une à la 007 (Live and let die). Dans cet opus, l’effrayant Baron Samedi, maître de la mort, règne sur les cimetières. Il est ici remplacé par des danseurs en transe qui rendent hommage à Dan ou à Mami Wata, la déesse des eaux, crainte des pêcheurs. Le vaudou est donc uniquement positif, c’est le culte à l’esprit du monde de l’invisible. Pendant ce temps-là, les jeunes s’amusent à se traiter de « bandits » et de « pédés » ! 

Sur la route du Ghana, Charlotte se fait demander son numéro pour la énième fois ! Partout, des pubs vantent la blancheur, synonyme de beauté. Cela fait écho à la formule de Florent Couao-Zotti dans L’homme dit fou et la mauvaise foi des hommes : le « Fanta face body coca-cola » est malheureusement hype. Ce soir, nous ferons escale à Grand-Popo en passant par la Bouche du Roy, croisement magnifique de la lagune, de l’océan et du fleuve Mono. Dans le Village Kirikou, havre de paix qui fait face au golfe de Guinée, le dakouin de Charles (à base de poisson, tomates, gari, piments) est délicieux. Depuis le gabriel (la viande de porc grillée) – le plat qui avait choqué Roro ! –  ou la cuisine des « bonnes femmes » d’Adjarra, nous n’avions rien mangé d’aussi bon ! Le matin, des miséreux venus du Ghana tirent pendant des heures le filet de la pêche à la senne qui pèse une tonne… et défonce les mains ! Ces « esclaves » comme le dit Charles sont payés quelques francs CFA, surtout en cigarettes et en mauvais alcool de palme. Du kill me now au kill them soon… La superbe plage de Grand-Popo semble somnoler face aux vagues de l’Atlantique pendant que nous voguons, sur la lagune, en direction de la mangrove. Puisque les lamantins ont migré ailleurs, nous nous en allons vivre nos aventures ghanéennes…


Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page