Novembre 2008
Il est midi : j'ai la bouche en feu et ça fait à peine deux heures que j'ai atterri à Calcutta. J'avais pourtant très clairement précisé « not spicy » … « Ok, ok, not spicy » m’avait-il répondu ! Je découvre la ville. C'est un autre monde, inimaginable. La pauvreté est d'une extrême violence et bien pire que tout ce que j'avais vu avant d’arriver là. Je suis en pleine Cité de la joie, le roman de Dominique Lapierre. Je suis profondément choqué à la vue de ces milliers de personnes qui dorment au milieu des trottoirs à même le sol, et qui n’ont pour unique bien une simple couverture infestée de vermine. C'est simple : la rue est un dortoir géant... Les gens se lavent dans la rue, la saleté est partout, l'hygiène déplorable, les odeurs de pisse et de rance vous montent à la gorge... Au bord du Gange (ici Hooghly), on se lave, prie, fait ses ablutions, sa lessive dans une eau polluée comme jamais... Comme à Vârânasî, telle est la vie des ghâts ! Lors de mon premier voyage indien, j’avais été choqué par l’ambiance de Bénarès : la ville puait la mort, des crémations incomplètes (à cause du prix du bois) aux cadavres flottant sur le Gange. En journée, les ghâts ressemblaient à un incroyable maelstrom entre rires d’enfants, douches et lessives et dévots hindous descendant au fleuve pour y faire leurs ablutions. En soirée, nous avions assisté au puja, le rite d’offrande et d’adoration au Gange : des milliers de personnes bénissaient leurs sacs d’ordures donnés au fleuve sacré. À Calcutta, un nombre incalculable de mendiants semblent sortir d'un autre âge : homme tronc, paralysés ou handicapés rampants dans les rues. Avec Kevin, nous avions croisé sur le quai d’une gare un lépreux en haillons. Vision d’horreur, j’en avais fait des cauchemars.
Et pourtant, Calcutta est attachante. Le délicieux chai est servi dans des coupes en terre cuite qui seront fracassées au sol ; il s’agit d’éviter de boire dans la même coupe qu’une personne d’une autre caste ! Ici, on mange pour trois fois rien de délicieux aloo, momo, biryani, dosa, pulao, parathi..., on se loge pour cent roupies (un euro = 60Rs). Les petites rues sont paisibles à côté du son permanent des klaxons et d'une intense circulation plus que fatigante ! Ici, les temples hindous sont partout : omniprésence des croyances ! La proximité géographique de Bangladesh me fait croiser beaucoup de musulmans. Il n'y a en revanche aucun Sikh. En transit à Delhi, j'avais été surpris par leur nombre.
Je file à Vishnupur, un village sans la moindre trace de touristes... Pourtant, le spectacle d’une succession de temples hindous des XVIIème-XVIIIème siècles en latérite et terre cuite est très joli. Me voilà au bord des larmes peu avant de monter dans le train : les abords de la gare sont un immense « camp de réfugiés ». Il est très dur de voyager dans ce pays. Il est temps d'effectuer mon pèlerinage à Darjeeling, cité d'altitude (2.300 mètres) qui, à l'image de Shimla, nous transporte au temps des Britanniques. Qui me connaît sait que mon amour du thé est sans limite. Si un chai se fait à base de lait bouilli avec du thé noir de l'Assam, un Darjeeling se boit sans lait ni sucre. Boit-on un Cheval blanc ou Pétrus accompagné d'un mets de piètre qualité ? Pour moi, seul l’English Breakfast un peu amer et franchement pas terrible doit être sucré et accompagné de lait. Je jubile à gambader dans les jardins de la Happy Valley... Je visite les plantations Nathmulls, j’apprends l’art de le servir, je le goûte. Que signifie donc SFTGFOPI ? Super Fine Tippy Golden Flowery Orange Piko I pardi ! Le vrai labyrinthe qu'est Darjeeling est un bonheur. Rarement, je n’ai senti autant de force et de bonheur qu’à la vue des hauts sommets de l'Himalaya. Le panorama sur la chaîne du Kangchenjunga et ses 8.598 mètres est incroyable… J’en pleure de joie ! Le soir venu, on se gèle. Est-ce l'explication de ma petite forme ? De l’Himachal Pradesh (Shimla) au Bengale-Occidentale (Kolkotta), il n’y avait donc qu’un pas effectué en quelques années. Je me rappelle de cette ville perchée à plus de 2.000 mètres, entourée de pins, de chênes, de rhododendrons. Dans la capitale d’été du Raj britannique, lieu de naissance de Philip Mortimer le héros fictif de Edgar P. Jacobs, j’avais été attaqué par un macaque !
Darjeeling n’a rien à voir avec Kolkotta : on y croise point de moustachus en chemises et peu de femmes en saris, on parle nepalî (et non bengali), beaucoup sont bouddhistes (et musulmans), les femmes ne fuient pas le regard des hommes et semblent un brin plus libérées d'une société très traditionnelle. La population ressemble à celle du Bhoutan, Népal, Tibet ou du Sikkim voisin. Suis-je toujours en Inde ? Une majorité de la population réclame l'autonomie complète du Gorkhaland, le vingt-neuvième État de l'Union. Comme le Sikkim, cette région ne fut que très récemment rattachée au pays, c’est-à-dire au milieu des années 1970. Grève de la faim et manifestations provoquent des tensions avec le gouvernement du West Bengal. C'est décidé : demain, je retourne à Calcutta
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