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Voyage culinaire au Vietnam

Dernière mise à jour : 10 févr. 2022

Le vice-président en a encore des larmes d’émotion. Il vient de déguster rien de moins qu’une merveille. Un simple riz de Can Tho arrosé de gouttes d’un nectar déniché au domicile d’un pêcheur paysan de la région de Phan Thiêt. Là où les plages se colorent de rouge, au pied des somptueuses montagnes. Le fin du fin ! Dans ses périples gastrosophiques de Can Tho à Haiphong, le directeur des études vietnamiennes n’avait jamais savouré une « eau salée de poisson fermenté » aussi complexe, délicate, délectable. Couleur à faire damner Rembrandt. Arômes à vous chavirer l’âme. Et sur les papilles, saveurs puissantes et magnifiques. Une immense longueur en bouche. « Le nuoc-mâm se reprend Michel (1), n’a rien de cette « sauce pourrie » qui amène des froncements sur les narines incultes. Il y en a d’abord de tous les crus. Rien de similaire entre production industrielle et artisanat traditionnel. » Philosophe et connaisseur, il insiste : « C’est comparable au vin. Ils mûrissent en vieillissant. Certains deviennent noirs, opaques, très forts. » Devant nous, de grandes jarres de terre. Emplies de couches alternées de poissons de mer et de sel. Tout en haut, des blocs de pierres pour presser. Un bon couvercle. En avant pour le soleil et le vent. Trois à six mois pour tirer le premier jus.

Phô vietnamien au boeuf

Ma connaissance des usages culinaires de ce pays, fier et attachant, est un peu limitée. Avec même cette fâcheuse et trop courante tendance à globaliser certaines flaveurs asiatiques. « C’est déjà différent ici du Nord au Sud », affirme mon gourmand guide. Le liseron d’eau, par exemple, inonde de sa douceur verdâtre les soupes et bouillons tonkinois, mais se cache en Cochinchine. Le riz, en revanche, demeure partout le seigneur. En dépit d’une japonisation accéléré, n’ayant rien à envier à l’invasion mac-donaldienne, sa cuisson continue chez les anciens de se donner le temps. Une épaisse casserole se chauffe sur un trépied. Elle est drôlement culottée. A peine recouvertes d’eau, les longues et grosses graines mijotent doucement. Quand les trous apparaissent, il faut baisser la braise, recouvrir, oublier un plein quart d’heure. Je me suis régalé en raclant discrètement le fond craquant.


Manger au Vietnam relève du cérémonial. Riche ou pauvre, le repas reste un moment fort. Sur la table basse, l’amie qui nous reçoit a installé des dizaines de petits bols. J’ai tôt fait de comprendre que chacun crée, au fur et à mesure de ses envies, ses propres mets, ses propres associations savoureuses, ses propres mariages d’odeurs, de teintes, de textures, ou de températures. Une gastronomie en nuance, en finesse, laissant gambader imagination et désirs. Au préalable, il a fallu apprêter afin de laisser libre cours à l’habile jeu des baguettes.

Point de gros morceaux, de masse à séparer, de tranches à débiter. De minuscules fragments. On s’en empare à vive allure. On les plonge dans les multiples sauces, dont ce surprenant extrait de la vésicule d’un insecte aquatique. Une tête d’aiguille suffit pour transformer le plat. On pique un légume par-ci, quatre herbes par-là. On ajoute un condiment, un bout de goyave ou de papaye verte, une crevette poêlée, une pince de crabe des rizières, fricassée, décortiquée, une bouchée d’aiguillette de canard rissolée au caramel, une pincée de soja, une pousse de bambou, une demi-tranche d’aubergine, une portion de piment, de porc, de l’une des innombrables sortes de bananes, un coquillage préparé, un pistil de lotus séché ou un dé d’ananas. Sous le nez flotte le parfum du bouillon et du riz. « Si l’on mange beaucoup, on est vite affamé », m’a prévenu Michel en reprenant un vieil adage.


Boisson pour la cuisine vietnamienne : un cognac coupé d’eau plate

Si le local a heureusement repris des forces, la présence française a laissé quelques traces. Des petits plats sur une table. Dans le nez, senteurs d’un digestif. Un breuvage distingué. Aujourd’hui, faisons place au vieux cognac. Peut-être aussi à l’armagnac. Dans ce cas, le ténarèze aura sa préférence. Un brin plus dur, plus authentique. Pour l’heure, Philippe (2) coupera ce nectar. A la mode d’un long drink. Ou simplement à l’eau plate. Histoire de mettre en valeur une cuisine élégamment raffinée.


Jacques Teyssier,

Journaliste gastronomique pour CoolinClassic / Article paru dans le journal L'Humanité en août 1996

 

(1) Professeur à l’Institut des langues et civilisations orientales, Michel Fournié a participé à la rédaction de Cuisine d’Orient et d’ailleurs (éditions Glénat).

(2) Philippe Faure-Brac a été élu meilleur sommelier du monde en 1992.



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