Octobre 2022
Lorsque Jules, Morgan et moi nous retrouvons à Charles de Gaulle, l’équipe Helsinki (Maghnia, Myriam, Erwann) est déjà à la découverte de la capitale finlandaise. Nous serons six pendant ce voyage que nous avons baptisé « Un chai dans l’Annapurna ». Direction Delhi puis le Népal. En transit à Kuwait City, un petit chefaillon prend à cœur de me montrer son petit pouvoir. Désagréable. Peu après l’atterrissage à l’aéroport Indira Gandhi, Jules et moi sommes choisis pour un test PCR qu’il nous faut payer ; superbe, je ne recevrai jamais le résultat ! Les douaniers, qui portent (presque) toujours autant la moustache, nous accueillent avec une certaine froideur : welcome to India le pays de mes cauchemars ! Ma première fois à Delhi fut un choc : pauvreté, odeurs, densité de population, épices, bruit, tout n’était pour moi qu’agression. La ville semble plus calme, la circulation moins chaotique. La ville a-t-elle changé ? Assurément non. Nous arrivons seulement au milieu des cinq jours que dure Diwali, la fête des Lumières qui commémore le retour de Rama à Ayodhya. Pour les hindous, il s’agit de consacrer la déesse Lakshmi, pour les sikhs de célébrer la victoire de la justice sur l’injustice et la violence. Tout juste arrivés dans notre quartier, antre des cafards, nous voilà à vagabonder à travers une métropole qui sent toujours autant la pisse. Avant même Old Delhi, le thé n’attend pas. Je commande six massala chai, mon préféré. Dès le deuxième, notre équipe de marcheurs est accro ! On s’organise illico avec un vieux Kashmiri pour un daily trip interminable autour d’Âgrâ. J’ouvre les paris : qui de nous six sera le premier à subir les inconvénients de la gastro(nomie) indienne ?
On file à Jama Masjid, l’immense mosquée moghol qui peut accueillir vingt-cinq mille fidèles, au fort Rouge, voir une belle citerne, puis dans la magnifique nécropole de la dynastie moghole (dont la tombe de l’empereur Humâyûn). Au sortir de la visite, le jardin de style perse accueille la sieste de ceux qui, comme Ulysse, ont fait un long voyage. Nous voilà surtout dans les lieux de culte qui font l’intérêt d’un voyage en Inde. Dans ce temple sikh, des kirtan sont chantés avec justesse. Ils me rappellent l’expérience du Temple d’Or d’Amritar, la ville sacrée de la religion fondée par Guru Nanak au XVIème siècle. Non loin, nous voilà dans un lieu de culte jaïn, une religion qui se considère comme immémoriale. Dès le lendemain, l’Inde spirituelle, celle qui fait frémir les Occidentaux avides d’orientalisme et mal dans leur peau, montre son vrai visage. Dans le centre de pèlerinage qu’est Mathura, c’est l’heure du racket ! Dans la « Krishna Historical House », un guide hausse le ton pour que les fidèles versent leur obole… Sur le retour, gare à vos lunettes si vous ne voulez pas que des singes dressés vous les dérobent ; vous les récupérerez contre rétribution ! Rebelote à l’entrée du Keshav Dev Temple où Maghnia se fait interviewer. Construit sur le présumé lieu de naissance de Krishna, huitième avatar de Vishnou et divinité la plus vénérée de l’Inde, le caissier tente de nous arnaquer. C’est dommage, car les centaines de bougies posées dans des diya (les lampes en argile) qui forment des mandalas et un immense svastika invitaient au mysticisme. Il ne manque plus que ces sectaires d’Hare Krishna qui récitent chaque jour mille sept-cents soixante-dix-huit fois le même nom divin pour couronner le tout ! Le lendemain enfin, après nous avoir montré le Gurudwara Bangla Sahib, un vieux sikh nous fait bien comprendre que notre donation est loin d’être suffisante ! De Delhi à Pokhara, notre voyage sera trop souvent celui de la chasse aux tips et à l’argent « facile ».
Depuis le fort d’Âgrâ, semblable à ce que William Sutcliffe décrivait comme « un machin gigantesque et impressionnant mais fondamentalement barbant » (Vacances indiennes) à propos de celui de Delhi, la vue est imprenable sur le Taj Mahal. La huitième merveille du monde moderne est devant nous, au loin dans un léger brouillard de pollution. Pour le poète Rabindranath Tagore, le Tâj Mahal était semblable à une larme solitaire posée sur la joue du temps. Depuis le XVIIème siècle, le bâtiment emblématique de l’architecture moghole fascine forcément celui qui a la chance de l’admirer. Dix-huit ans après ma première venue, l’impression de gigantisme et de beauté est intacte. Avec Maghnia, on se remémore certaines étapes de notre périple ouzbek en terre moghole, notamment la superbe Khiva. En fin de journée, les couleurs donnent encore plus de charme au monumental monument de marbre blanc construit par l’empereur Shâh Jahân en mémoire de son épouse Mumtaz Mahal (la « lumière du palais »). De retour à Delhi, nous partons à la chasse au PCR pour Jules qui la joue à la Djoko. Le vol pour Katmandu approche et nous sommes le troisième jour de Diwali. Projet possible dirait Nims Purja ! L’office du tourisme de Delhi lui propose, moyennement quelques roupies, un test forcément négatif ou un vaccin selon la grosseur de son portefeuille. Cocasse ! Le soir à Connaught Place, les premiers signes de lumières (des lanternes) apparaissent dans le ciel avant que les feux d’artifice envahissent la ville. C’est franchement n’importe quoi. Des feux sont lancés au pied des fils d’électriques et retombent au pied des voitures, des rickshaws ou de Morgan plus qu’ébranlé par cette ambiance de guerre civile. Le petit n’est pas au mieux !
Il est temps de rallier le Népal, l’ancien royaume où les habitants sont plus calmes, plus souriants, plus sympathiques. Si je craignais ces trois jours en terre indienne, ils passeront avec une certaine douceur. Effet de groupe ou présence de Maghnia qui a toujours autant d’énergie et de soif de découverte ? À Katmandu, un autre voyage commence. Objectif : le camp de base de l’Annapurna. « Ville mythique pour les babas cool de notre génération ! », avant ça « quand nous étions jeunes, on allait à Katmandou et on y allait en stop !!! » sont les WhatsApp envoyés par la mamma. Jules partira-t-il dans la montagne sans son sac, resté bloqué à Delhi par la faute de règles de sécurité à la con ? Suspense ! La route nous conduisant à l’aéroport est étonnamment calme. C’est « Dipavali », la version népali de Divâlî pardi ! C’est aussi le nouvel an des Newari, ces Autochtones de la vallée de Katmandou. La guesthouse complétement merdique de Thamel offre un joli panorama sur la ville et la colline sacrée de Swayambhunath. L’auberge est située dans le quartier « routard », celui des hippies depuis les années 1960 qui venaient s’essayer au spiritisme oriental tout en rejetant la société mercantile occidentale. En lisant Flash ou le grand voyage de Charles Duchaussois, je perçois surtout que la hippie trail d’Istanbul à Katmandu, Goa ou Bangkok était surtout la route de la défonce et que ceux qui se considéraient comme non-touristes restaient entre eux ou n’adoptaient pas la culture locale… Peace and love, really ?
Le premier soir, on rencontre Rabhi, le chef de « l’expédition ». Lors d’une balade vers Mandala Street et un Durbar Square touché par le tremblement de terre de 2015, tout le monde goûte une nourriture de rue typique de la région (kachori, aloo, sel roti, chaat, lassi ou le king curd fait à base de lait de buffle). Chaque saveur culinaire semble « incroyable ! » pour Myriam alors que chacun, petit à petit, se mettra à dévorer les momos servis frits, à la vapeur ou en soupe. Invités par des Népalais, nous dansons sur des hits occidentaux. Cela est difficilement possible en Inde. Welcome to Nepal ! Plus tard dans un bar de Thamel en compagnie d’Erwann et de Morgan, je me moque comme (trop) souvent mais gentiment de Maghnia en lui commandant un bhang lassi ce qui fait bien rire le serveur. Le lendemain, je retrouve Bhaktapur qui m’avait fascinée. Nous sommes en pays newari et ici, peu parlent le népali. La ville fondée au XIIème siècle, aurait été édifiée selon un plan en forme de mandala. Un triangle, formé de temples, est censé protéger la cité. Nous rallions Pashupatinah, la jumelle de Varanasi (Bénarès). C’est le même choc que celui que j’avais reçu dans cette ville. La rivière Bagmati accueille les corps calcinés qui brûlent sur des bûchers sculptés au bord du fleuve. La ville sainte semble figée dans le temps et sent la mort. Elle est le refuge des moines, des fidèles et de tout le sous-continent. Des sâdhus, ces « saints hommes » mendient, et s’ils ont officiellement renoncé à la société, acceptent de se faire prendre en photo avec quelques stupides touristes qui lâchent de gros billets. Pas si cons ces « homme de biens » ! La ganja sacrée est de sortie, on la fume au shilom au son d’une musique sacrée. Nous rejoignons le stûpa de Bodnath, l’un des principaux sanctuaires bouddhistes du pays. La figure de Kundun (le dalaï-lama) marque le site, car Bodnath, de par sa proximité avec Lhassa, compte nombre de gompas, ces monastères bouddhistes. Le soir, c’est la fiesta avec Maïmaï et Pema qui nous encadrera pendant le trek. Les Gorkha bien fraîches tombent comme cette bouteille de Khukhuri, le rhum local. De la canne à sucre au Népal ? Mystère. Demain, cap sur l’ouest et sur la chaine des Annapurnas !
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