Février 2022
En annulant son vol pour La Havane, Air Caraïbes nous met dans une sacrée merde. En quelques jours, billets d’avion, visa et PCR validés, nous embarquons pour la Côte d’Ivoire via Brussels. Vols pour Douala et autres, la capitale belge serait-elle la porte d’entrée de l’Afrique francophone ? Nous avons opté pour Cocody, l’une des communes d’Abidjan. « We are the rockers from Zion Ivory Coast (…) Coco coco Cocody Rock (…) Coco coco Cocody Rasta » me chantait le parrain du reggae africain (Alpha Blondy) sur la grande scène de l’Huma. Chambre réservée non disponible, restos tenus par des Libanais ou des Chinois qui ont mis la main sur nombre de projets pharaoniques, bienvenue en Afrique où la Françafrique est toujours là ! Sur tous les écrans, Canal + règne presque en maître et le luxe semble tricolore. Cocody offre ainsi quelques services bancaires et gastronomiques à la parisienne. En ralliant l’Allocodrome de Cocody qui ravirait l’amie Fatou, nous croisons notre premier gbaka, ces minibus bondés où des assistants du chauffeur font des pirouettes à pleine vitesse accrochés à la portière. Nous assistons à l’un des (trop) nombreux cultes évangéliques qui endorment une population sapée comme jamais. Ici, « la religion est {bien} le soupir de la créature opprimée (…) comme elle est l’esprit de conditions sociales où l’esprit est exlu. Elle est l’opium du peuple » comme l’écrivait Marx. Nous le comprendrons encore plus en parcourant les quartiers poussiéreux de Yamoussoukro où les Églises sont à chaque coin de rue, ou en lisant les messages religieux à l'arrière des taxis et bus. Nous tombons au hasard sur le gigantesque Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC), un endroit rêvé pour le poto Barny ! C’est l’heure de notre premier attiéké (semoule de manioc) accompagnée d’un magnifique poisson braisé.
À Yamoussokro, point de contact entre forêt et savane, Olivier le tisserand nous guide dans le village de naissance d’Houphouët-Boigny devenu capitale par la force du chef d’État. Visionnaire ? Mégalo surtout, car les quatre édifices qu’il a fait construire (palais, fondation, hôtel, basilique) aux quatre points cardinaux de la ville forment l’acronyme PFHB (Président Félix HB). Ici, les acromymes, c’est la vie ! Voici donc l’immense palais présidentiel où il est enterré et les trois lacs artificels peuplés de crocodiles du Nil. Associés à la puissance politique du président, les « Peaux de bois » (dixit Rahan) sont considérés comme sacrés. Devant la basilique Notre Dame de la Paix, l’édifice catholique le plus large et haut du monde, qu’a voulu (dé)montrer le « Vieux » au reste du monde ? Qu’il était un grand bâtisseur ? Un grand homme d’État ? Encore pire, un grand bienfaiteur ? Il aurait fait don du terrain (130 ha.) et, selon ses dires, payé de sa poche la somme astronomique de 122 millions d’euros... Matériaux et artisanat de France (vitraux, dôme en métal), d’Italie (menuiserie), du Portugal ou d’Espagne (marbre), est-ce vraiment les Ivoiriens qui ont profité des travaux d’un bâtiment qui a coûté 6% du budget annuel du pays ? Olivier le Baoulé nous emmène de maquis(restaurant) en maquis, pour y boire quelques grandes bières, et goûter à de la banane pilée (le foutou banane) et de cette viande de brousse (porc-épic et agouti) que les Baoulés raffolent. Avec son français « p’tit nègre » - comme l’appelle l’écrivain Ahmadou Kourouma -, il fait rire Maghnia et la fait rêver des danses des masques qu’on ne verra jamais. Le discours radical d’Olivier, fait d’ivoirité et de nationalisme raciste, ne nous plaît pas. Ce sont pourtant les Ghanéeennes qui ont développé tes premiers maquis ! Gaou, je n’aime pas cette fausse amitié basée sur quelques billets. Maghnia est bien plus empathique. À la nuit tombée, c’est partie de foot au milieu des ordures pendant que nous faisons Le Bon Choix d’un maquis de quartier. Au loin, le quartier burkinabais probablement douala est centré autour de leur centre religieux, la mosquée.
Le temps de la splendeur du pays sous Houphouët est bien lointain. Yakro se délite comme, il nous semble, beaucoup de villes ivoiriennes. La guerre est passée par là. Après avoir chassé Gbagbo du pouvoir, que fait l’antidémocrate Ouattara pour améliorer le sort d’une population en grande souffrance ? Depuis mon voyage initiatique dans le Mali de Moussa Traoré en 1990 en passant par le Sénégal ou Madagascar, l’Afrique noire anciennement française n’avance pas. Et alors que l’Asie marche sur le monde, l’Afrique semble presque reculer. Infrastructures en déliquescence, rues goudronnées détruites ou non terminées, trottoirs dangereux, sols jonchés d’ordures et bords de route de tonnes de plastique, véhicules à l’agonie, corruption généralisée, le constat est sans appel. Le peuple doit se réveiller et suivre les recommandations de la co-star du reaggae ivoirien Tiken Jah Fakoly. Un car UTB nous dépose à Daola en territoire bété. Guigui accepte de nous faire visiter sa plantation de cacaoyers. La pluie n’est pas tombée depuis plusieurs mois ; les calebasses se meurent. Changement global ? Oui affirme celui qui nous emmène à travers les pistes de caféiers, cacaoyers, manguiers, govayes, les plantations d’hévéas. Guigui cultive les relations humaines comme il le dit. Et le fait bien ! Nous visitons son village dont l’école porte le nom honteux de Martin Bouygues… Il serait temps de débaptiser ces rues et/ou quartiers qui portent le nom des colons dêh (Binger, Treich-Laplène, De Gaulle, VGE, Mitterrand) ! Nous goûtons son rhum, ses petites bananes si sucrées et profitons de son expérience pour être admis dans la forêt sacrée des singes. Ici, les Bétés honorent et nourrissent les mones de Campbell (singes) qui représentent leurs ancêtres. Admis par le chef… moyennant quelques milliers de francs CFA, car il faut payer pour les photos et une bouteille de gin pour honorer les ancêtres ! Nous n’en verrons bien sûr jamais la couleur.
Sur la route d’un Ouest yacouba et malinké plus musulman, les arrêts pipi se font au milieu d’un bord de route dégueulasse où les femmes toujours bien apprêtées dans leurs tissus colorés, dignes, souriantes et en demande de photos, sont les moteurs d’une économie de débrouillardise. Femmes fortes bien plus courageuses que ces hommes qui attendent, trop souvent, une opportunité forcée. Rapports sociaux parfois désagréables ! Nous voilà en pays mandé. Dans la rue, on entend souvent tiper et on nous interpelle en criant « les blancs » ou « les peaux blanches » ; rien d’anormal. Ainsi, nous répondons par « le noir » et provoquer la rigolade ! La longue route de Man qui rallie le pays de Dan (Yacouba) est sans cesse coupée par des barrages plus ou moins politico-militaires. Les 12 montagnes défilent devant nous. C’est encore l’habitat de léopards, d’antilopes, de singes. À l’hôtel, un guide nous propose ses services honteusement honéreux. Ici, il n’y a pas de place pour le backpacker et les très rares blancs que nous croisons circulent dans des 4x4 avec guide et/ou chauffeur. Nous n’en croiserons aucun dans les gares routières ou les maquis. Découvriront-ils la « vraie » Côte d’Ivoire grâce à leurs cash ? S’ils auront probablement vu plus de paysages que nous, j’en doute ! Après un repas frugal fait de quelques alloco, d’une soupe de carpe, d’un bon tièp et de boissons traditionnelles (bissap et gniamakoudji au gingembre), nous voici au pied de la Dent de Man, une impressionnante formation granitique qui domine la forêt tropicale qui s’en va jusqu’au Libéria et en Guinée. Le village s’est approprié le site et tente de siphoner le touriste pour la moindre photo ou l’accès au bush. Il y a embrouille. Dieu qu’il ne faut pas froisser l’orgeuil d’une Algérienne !
Le pays des Senoufo (nord) est loin, l’intérêt limité pour ceux qui n’ont pas décidé de voyager dans le confort et la sûreté. Les cars UTB font la promo de productions nigériannes (Nollywood) souvent merdiques, d’humoristes locaux ou de la nouvelle scène musicale ouest-africaine. Ils nous déposent gare de Yopougon (Abidjan), le quartier d’Aya ! Au Plateau, la cathédrale domine le quartier des affaires où se trouve l’immense Centre culturel français. « Abidjan, c’est doux même ! ». En journée, visite de Banco, le poumon vert de la ville. Devant, le spectacle des fanicos (laveurs de linge) est fascinant. Sur la route de la MACA (prison), une communauté protestante nous fait tourner dans son clip. Elle insiste pour nous faire tenir des panneaux « Viens à Jésus »… On a hâte de voir le résultat final ! En soirée, Bruno le Basque nous rejoint au fin fond de la rue des bars chauds de Blockhaus (Cocody). Rendez-vous dans un maquis, avant de filer au Parker Place, le bar 100% rasta, 100% évangéliste, 100% reaggae, 100% good vibes d’Alpha Blondy ! Nous poursuivons vers l’ancienne côte devenue sans ivoire, car les éléphants ont disparu. Elle nous emmène dans ces stations balnéaires du Sud-Comoé chantées par le maître (Grand Bassam puis Assinie). This is « Highway to Grand Bassam. Highway !! Highway !! Highway to the sun (…) There’s always fun ». Si l’ancienne capitale coloniale s’enfonce dans un sommeil destructeur et sa plage jonchée de détritus, les rues du Quartier France gardent cependant un vrai charme et rappellent Saint-Louis (Sénégal). Son potentiel est immense comme l’ensemble du pays. Après deux heures de route, nous rallions le Royaume Sanwi pour admirer « Krinja ». C’est sous cet arbre sacré du peuple qu’en 1992, the « King of pop » MJ fut reconnu fils du Sanwi et consacré « Prince Amalaman Anoh » en moins d’une heure ! Dernier effort et nous voici au bord de la jolie lagune d’Assinie calme comme un début de semaine. Ici comme ailleurs, les enfants sont souriants et joyeux et la pétanque, c’est sérieux ! Dans les îles Ehotile, demeure des lamantins, crocodiles, varans et civettes, deux agents gouvernemantaux en charge de protéger le domaine estuarien tentent de nous racketter dix mille francs CFA. Le prix de votre balade botanique est pourtant « exorbitant » ! C’est tendu, ça palabre, on ne lâche rien ; tentative de corruption devenue (trop) banale, quotidienne même et image déplorable du pays ! Partout, l’argent semble au cœur des échanges sociaux, dans la rue, les gbaka, dans les clips et les films. Disons-le, ça soûle ! Malgré nos précautions, une très mauvaise surprise nous attend à l’aéroport… il faut un PCR négatif pour quitter le pays ! Quel pays exige cela, à quoi ça sert et surtout où l’information était-elle indiquée ??! Les centres fermant à 15h30, il nous faudrait donc rester deux jours supplémentaires ! Après plus d’une heure de négociations parfois houleuses auprès de policiers ou de l’agent du ministère de la Santé qui nous envoie chier tout en tapant sur son téléphone, ses écouteurs aux oreilles, nous faisons le forcing pour faire un antigénique auprès d’infirmiers qui nous avaient affirmé que cela était impossible… Moyennant 40.000 francs, la donne a changé ! Une vingtaine de minutes d’angoisse plus tard, on nous laisse passer… CCA, C’est Ça l’Afrique !
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