Février 2020
De Bogotá à Barranquilla, 3 héros colombiens nous accompagnent dans ce voyage : Gabriel García Márquez le Bon, Santiago Botero l’Artiste et Pablo Escobar le Truand ! Par la « faute » de quelques amis fans de ce pays, nos attentes sont élevées… trop élevées ! Nous débarquons à Bogotá de nuit. Le décor est planté : 2 soldats sécurisent le quartier de la Candelaria où nous avons pris résidence. De jour, le centre est bien joli. Dès le premier instant ou presque, les rues se couvrent de fresques murales parfois de toute beauté. Le street art envahit les rues de la capitale. On s’en va rejoindre la basilique du Señor de Monserrate et son sanctuaire du Seigneur des Miracles, situé au sommet d’un cerro qui culmine à plus de 3000 mètres. La basilique semble veiller sur la ville, la vue est belle, la balade qui s’en suit bien sympathique ! On rejoint le musée Botero puis l’impressionnant Museo de Oro, l’un des plus beaux du continent. Il abrite la plus grande collection d’orfèvrerie pré-hispanique du monde. Or, céramique, pierre, coquillage, os, textile, c’est une éclatante démonstration du génie des peuples amérindiens de cette période et de leur rapport avec la nature. Ainsi, on y apprend sur le chamanisme : médiateur entre les esprits et les vivants, le chaman utilisait rituels, musique (flutes, maracas, sifflets) et substances hallucinogènes et/ou narcotiques (coca, tabac, yapo, yagé/ayahuasca…) comme outil thérapeutique ou pour entrer en transe dans un but divinatoire. Lors d’un cours de salsa on rencontre d’ailleurs des adeptes d’un tourisme mystique : Titziano - rencontré dans l’avion - et ses compagnons sont à la recherche de leur animal totem. Serait-ce le jaguar ? Après s’être essayé au tejo - une « pétanque » traditionnelle -, nous quittons les Andes pour rejoindre la Cordillera Central et le joli pueblo de Salento. Le Mirador de Alto de la Cruz permet de s’imaginer de jolies balades dans cette cordillère détachée des Andes. À bord de l’une des fameuses Jeep Willys de la Seconde Guerre, c’est parti pour un bout d’aventure. Accueillis par un majestueux toucan, nous voici à trekker dans la vallée de la Cocora qui abrite ses géants. Des palmiers à cire, qui atteignent plus de 60 mètres de hauteur, plantent un décor de carte postale. C’est bien beau. Le lendemain, nous voici dans la plantation de café El Ocaso. La visite de la finca se termine par une dégustation d’un café bien moins noir que celui que l’on boit en Europe. Dans le 4ème pays producteur de café de la planète (après le Brésil, le Vietnam, l’Indonésie), point d’espresso ou de ristretto ! Le café appelé tinto est sucré et très léger. Après une dernière lecture dans l’un des cafés du village, nous rejoignons notre coup de cœur Medellín, lovée au cœur des 2 cordillères (Centrale et Orientale).
Pour découvrir la ville, nous adoptons pour un free tour très loin d’en être un qui se termine devant les statues du maître. À Bogotá ou Medellín, Botero l’Artiste local est omniprésent. Le soir, le centre-ville animé en pleine journée devient craignos. Dès la nuit tombée, l’atmosphère change bien vite. À l’image des centres-villes d’Amérique du Nord, il est temps de regagner une périphérie plus sûre et résidentielle. Comme dans tout le pays, nos balades sont souvent accompagnées par les merengues et bachatas du dominicain Juan Luis Guerra. Son Grandes Exilos qui tournait en boucle sur la chaîne de ma Fanny est partout ! Si notre voyage colombien nous déçoit réellement, on apprécie grandement la force de la culture hispanophone ultradominante. Si les gringos ont souvent imposé leur politique, ils n’ont pas réussi à modeler les pays hispanophones à leur pop culture ! Et J-L. Guerra est un bon exemple de ces héros hispanophones admirés… et même adulés dans le continent à l’image de Simón Bolívar, figure emblématique de l'émancipation des colonies espagnoles. Il participa ainsi à l'indépendance de la Bolivie, Colombie, du Pérou, de Panama ou de l’Equateur. El Liberator tout simplement ! Nous rallions Guatapé pour la journée. L’ascension de la Piedra del Peñol, un monolithe de 220 mètres déçoit. La vue à couper le souffle attendue est loin d’être au rendez-vous ! Filtres Instagram ? Guatapé est idéal pour flâner au milieu d’un festival de couleurs et de bas-reliefs (les zocalos) qui font référence aux us-et-coutumes de la région. Tout ici est coloré : marches, fontaine, lampadaires, maisons, transports…. Superbe !
Medellín offre de bons cafés, quelques plaisantes agapes (arepa, ajiaco bogotanaise, buñuelos, empanadas, tamal, bandeja paisa d’Antioquia) et surtout des chefs d’œuvre de fresques murales. À Poblado, Jomag, Pirañas crew ou Elemento Ilegal ont pris le contrôle des murs tout comme les artistes de la Comuna 13 (Jomag, Chota, Fateone). Comme dans la favela d’El Pesebre, l’ancien coupe-gorge de la Comuna 13 a retrouvé grâce… à l’art ! Independencia 2, un quartier de Comuna 13, jadis l’un des quartiers les plus dangereux de la ville, est donc devenu un temple du street art et du hip-hop. Les murs racontent ainsi des histoires, celle de l’opération « Orión » lancée par l’ancien président Uribe par exemple. L’armée et la police, appuyées par les paramilitaires, auraient « pacifié » la zone pour mettre en place la « politique de sécurité démocratique » du président. Plutôt pour faire la chasse aux FARC, à l’ELN, aux Commandos armés du peuple. Assassinats et disparitions forcées ont « nettoyé » le quartier en faisant fi des droits de l’Homme. Assurément un crime d’Etat ! À bord du métrocâble, nous survolons la ville et probablement le quartier de Manrique dans la Comuna 3, où étaient recrutés beaucoup des sicarios d’Escobar. L’ombre du narco le plus recherché de la planète continue de planer sur la ville. Au cœur de la guerre, qu’auriez-vous choisi ? « Plata o Plomo », l’argent ou le plomb ! Au Barrio Pablo Escobar, le Truand est une idole. Voilà ce qui arrive quand l’Etat se soustrait à ses obligations et laisse les criminels construire à sa place. Si les narcos tour sont à ma grande joie aujourd’hui interdits, on peut encore se rendre sur la tombe de Pablo Emilio Escobar, dont la fortune connue était de près de 60 milliards de dollars (en 2020). Maghnia fait tourner en boucle la chanson de Rodrigo Amarante, bande originale de la géniale série Narcos, dans les longues journées de transport.
Sur la côte caribéenne, c’est decepción : le parc de Tayrona - l’un des must du pays - est fermé pour un mois, le front de mer de Santa Marta est trop bâti, la plage surpeuplée. Un delphinarium de fortune a été improvisé non loin de la fameuse playa Blanca, une honte ! Ainsi, Santa Marta est un Little Miami qui ravit les gringos ! Puisque depuis Santa Marta, les sportifs pourront rallier la Ciudad Perdidad, une Lost City of Z perdue à plusieurs jours de marche, elle est le lieu parfait pour se plonger dans le « réalisme magique » et la quête du temps perdu mise en avant par les sublimes romans de Garcia Marquez, le Bon. En lisant Cent ans de solitude ou L’Amour au temps du choléra, le prix Nobel prend ton son sens. Le carnaval approche et les pré-festivités envahissent le weekend. On assiste à 2 concerts : même pas portés par les rythmes de la cumbia traditionnelle que j’espérais, ils sont ruinés par la faute d’une graine de chia ! On file à Minca, un village caché dans la Sierra Nevada. Au cœur de la forêt tropicale, nous rallions les jolies cascades puis un matin, Carthagène des Indes. Pendant des siècles, la ville fut une place forte de l’empire espagnol, de transit de l’or inca et aztèque et un important centre de la traite des esclaves. Ainsi, son port fut un lien essentiel sur la route des Indes occidentales espagnoles (les Indes), nom donné aux Conquistadors à l’Amérique. Du Commerce triangulaire aux narcos en passant par les FARC, le pays semble ne pas prendre son histoire à bras-le-corps. Où est donc le mémorial ou le musée attendu à Carthagène ? Un rapide aller-retour à San Basilio de Palenque permet quand même de ne pas oublier le passé esclavagiste et créole du pays. Dans le village niché sur les contreforts de Montes de Maria, une plaque indique « Premier territoire nègre libre d’Amérique », à savoir premier palenque (village fortifié) créé au XVIIème siècle par des nègres-marrons (esclaves en fuite). Une statue du roi africain Benkos Biohó renvoie de l’autre côté de l’océan. Ici, c’est un bout d’Afrique habité principalement par les Afro-Colombiens. Les vieux y parlent le suto (ou palenquero), un créole qui associe espagnol et langues bantoues.
Nous optons pour un daily trip à la découverte des belles îles des Caraïbes. C’est une journée cauchemardesque qui nous attend. Notre embarcation, bondée comme un boat people, bouge dangereusement sur une mer très agitée. Sur des plages ou îles trop peuplées, les locaux font cracher leur musique sur de grosses enceintes « de plage ». Des guides baladent les touristes colombiens, hispanophones ou gringos sans aucune considération ni politesse. Ce n’est pas la vue de l’une des centaines de maison du Truand ni de son avion lors d’une session snorkeling toute pourrie qui comblent nos attentes. Si Carthagène est un bijou de ville coloniale, elle nous agace. Prise d’assaut par les touristes, elle est chère et les palenqueria vendent leur sourire pour une photo « cliché ». L’insupportable culture américaine du pourboire « volontaire » mais (presque) imposé s’est répandue dans ce paradis architectural. Pourtant dans le quartier de Getsemani, je suis une nouvelle fois sous le charme des créations murales. Deux artistes sont même au travail. Dommage pour Maghnia qui a choisi un salon de coiffure pour se faire encore plus belle pour le début des festivités. On rejoint Barranquilla, célèbre pour le deuxième plus gros carnaval du continent. Son ami Jaime, qui craint pour notre sécurité plus que nous, nous balade dans la ville de Shakira où il n’y a rien à faire. Le soir venu, nous voilà à la soirée de lancement des festivités. La veille avait eu lieu la célébration de la Reine. On danse aux sons latinos ponctués de quelques gorgées d’aguardiente, une liqueur de canne à sucre très populaire dans les régions andines. Un bon kiff ! Demain, la compagnie Avianca, mondialement célèbre depuis le vol 203 du 27/09/1989 nous conduira à l’aéroport El Dorado de Bogotá. Ce jour-là, le Boeing 727 explosa en plein vol et causa la mort de 110 personnes. La faute (probablement) au troisième : le Bon, l’Art brut et le Truand !
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