Février 2018
C’est un grand plaisir que de revenir (enfin) au Maroc. De Casa à Essaouira, des cascades d’Ouzoud aux dunes de Merzouga, c’est le troisième voyage dans cette monarchie bien absolue ! Ce périple nous emmène de Tanger jusqu’à Chefchaouen en passant par Assilah. Premier taxi, premier tarif touriste. Moi qui croyait avoir quelques souvenirs et avoir appris quelques choses de mes longues négociations à Dakar ou Marrakech… Peut-être qu’il s’agissait d’une ancienne vie ? Dès notre sac posé, nous voilà à l’assaut d’une ville ensoleillée. Profitons-en, cela ne durera pas, mais alors pas du tout ! Chasser le soleil méditerranéen et ce sont cinq jours de pluie qui vous tombent dessus ! Le premier thé à la menthe avalé avec gloutonnerie et c’est déjà la première prise de bec avec un jeune tangérois qui a (mal) vu en nous le moyen de ramasser quelques dirhams. La médina est un labyrinthe de maisons bleues et blanches, ses terrasses multiples donnent sur un paysage marin et plus loin encore… l’Espagne ! Gibraltar et Algésiras ne sont qu’à quelques kilomètres, le rêve européen paraît, à tort, bien accessible.
Les premières odeurs de kif s’échappent de tous les cafés où jeunes hommes et vieillards tuent le temps la tête dans les étoiles. On se demande un court instant si fumer est légal. Un court instant seulement, le temps de visiter le musée de la casbah puis d’avaler un premier tajine au poulet. Rien que pour les délicieux tajines ou le couscous du vendredi, venez au Maroc ! Nous redescendons vers la corniche où une nouvelle mosquée géante doit être inaugurée par Mohammed VI. Après des années d’isolement politique, la ville rebelle a-t-elle enfin obtenue les grâces de la monarchie ? Nous tentons tant bien que mal de nous repérer dans ce labyrinthe complexe et fascinant. Peine perdue… Au fur et à mesure des journées, nous prenons nos habitudes : boire un thé qui vous brûle la langue place du petit Socco, flâner dans les souks, admirer le travail du cuir de Fez ou d’ailleurs, se rendre à la cinémathèque place du grand Socco. C’est peu… mais c’est déjà beaucoup, bien suffisant en tout cas !
Tanger nous fascine presqu’immédiatement. La faute à son histoire peut-être ou à son rapport si particulier avec les nombreux artistes qu’elle a hébergés comme Delacroix, Matisse, A. Dumas, T. Ben Jelloun ou J. Kessel. « Tanger était une partie de plaisir un peu mélancolique pour les demi-solde du monde moderne » écrira d’ailleurs Daniel Rondeau. C’est ici que le musicien et écrivain Paul Bowles (Un thé au Sahara) y finira sa vie, que le junkie qu’était William Burrough y écrira Le festin nu. Si vous n’avez rien compris à ce livre phare de la « Beat Generation », sachez que moi non plus ! Le soir venu, nous suivons les odeurs de tajine avant de redescendre vers les Soccos magistralement décrits par dans Tanger et autres Marocs : « A la nuit tombante, le branle tangérois se déplace jusqu’à la scène populeuse du Petit Socco. Un carré de brasseries ouvertes sur la rue, les fauteuils des terrasses, les balcons du café Fuentés, avec leurs balustres de fer, le bruitage des télévisions : le Petit Socco est un théâtre. Toute la médina vient s’y montrer. Dans un tourbillon, on s’interpelle, on s’embrasse, on se salue, puis on retourne dans les coulisses de la ville (….) la ronde quotidienne des figurants du crépuscule est une énigme. Seuls la déchiffrent, peut-être, les hommes en burnous, assis aux premières loges devant leur thé à la menthe, statues immobiles et silencieuses, qui contemplent la même scène tous les soirs sans jamais bouger d’un cil ».
La nuit venue, il est temps de remonter vers les bars à tapas qui alternent entre clientèle hyper bourgeoise et populace joyeuse. Influence espagnole certainement. Avec Maud une québécoise qui a largué les amarres depuis de longues semaines, je file à la rencontre de Sandrine Bonnaire venue présenter Prendre le large à Ciné Tanger. On finit la soirée dans un bar musical enfumé. « Tanger l’Africaine n’a donc pas d’horaires » (Rondeau). Nous voilà dans un taxi collectif surpeuplé à longer le littoral. Nous arrivons dans le petit port d’Assilah dans une excellente auberge qui sonne vide. Si l’ancienne ville carthaginoise n’a gardé aucun vestige de la casbah, les remparts portugais du XVIème siècle qui encerclent la vieille ville sont magnifiques. Assilah la blanche pourrait-on presque dire. Du haut de la tour Coraça, les Portugais pouvaient contrôler l'approvisionnement du comptoir commercial. La péninsule tangitane a bien joué un rôle important dans la genèse des civilisations méditerranéennes. Les orages violents empêchent de réexplorer le joli labyrinthe qu’est la médina ou cette plage bien dégueulasse. J’en profite pour écrire.
Quelques poissons grillés plus tard, nous voici déjà dans les montagnes du Rif, royaume des chats et du « Ketama », le hash premium quality ! Parler de hash à Chefchaouen, c’est un peu comme parler de vin en France lirai-je quelque part. Les « backpackers » du monde entier viennent toujours en pèlerinage sur l’ancienne route des paradis artificiels des années 70 (Ibiza, Chefchaouen, Goa, Népal…) pour goûter au hash ou au kif, résidus du battage/tamisage broyés finement puis mélangés à du tabac noir des montagnes qui se fume à la pipe (la sebsi). Aventures presque contemplatives pour voyageurs intoxiqués par l’exotisme. Lila, mon amie fontenaysienne quelque part entre l’Algérie, Paris et Cuba, nous envoie en mission ; il s’agit d’apporter chocolat, photos et lettre à Ahmed, un vieillard rencontré quelques semaines plus tôt. Il sort de ses rêves enkifés et nous reçoit dans son antre glauque, enfumé et sale, cour des miracles pour un homme fatigué, souffrant et dé-sociabilisé. C’est une discussion passionnante qui mêle religion, ésotérisme, philosophie de la vie que nous propose Ahmed. « Mon Dieu, c’est la Playstation » nous dira-t-il ! Dès notre départ, il retournera à coup sûr flinguer quelques méchants dans Far Cry ! La ville accueille une dizaine de zaouïas, ces édifices religieux où se retiraient les soufis algériens, tunisiens ou marocains. La région est ainsi le berceau d’une musique de transe soufie portée par The Master Musicians of Joujouka, le groupe que W. Burroughs qualifia de « groupe de rock vieux de 4000 ans ». Un soir de 1967, Brion Gysin l’un des auteurs de la « Beat Generation » conduisit Brian Jones jusqu’au village de Jajouka. 7 heures de bandes son et un album posthume plus tard (Brian Jones presents : the pan pipes of Jajouka, 1971), et le fondateur des Stones lancera la mode d’une destination musicale mythique. Ornette Coleman, Hendrix, Ravi Shankar ou Jimmy Page, en quête de spiritisme psychédélique viendront donc puiser leur génie au fin fond du Rif marocain. Avant de quitter Chaouen, poussé par une pluie incessante, je ne peux m’empêcher de la rêver ensoleillée et de (ré)explorer les montagnes Kelaa et Meggou.
Retour dans la ville mystique, mythique même (!), sa fondation étant attribuée au géant Antée, fils de Poséidon et de Gaia. Tanger l’exotique deviendra, au fil du temps, Tanger la diplomate, habitée par nombre d’espions, des Pierre Loti et compagnie. De fait, nous visitons la Légation américaine très ancienne. Le Maroc fut le premier pays à reconnaître la toute jeune nation américaine. La ville dangereuse des prostituées, des marins de fortune, des artistes échoués ou des espions de toute sorte a dû bien changer. Se replonger à la terrasse du Café de Paris dans l’un des Jason Bourne, c’était donc un peu comme poursuivre cet héritage diplomatique. Nous voilà à la fin de notre court périple pluvieux. L’odeur du cuir nous appelle. Quelques achats de vestes, sacs et babouches, un bon dîner, le goût sucré d’un dernier thé, et nous voilà déjà rentrés. Nul doute qu’au terme de ce voyage, nous rencontrerons au pays quelques Tangérois en exil, car, écrivait D. Rondeau, « la diaspora tangéroise a le monde pour elle » !
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