Juillet 2023
L’aigle d’Estonie a fait place au même rapace devenu bicéphale : « Mire se erdhe ne Shqiperi » (« Bienvenue en Albanie ») ! Nous avons pris nos quartiers dans une chambre honteusement merdique de Tirana, le centre névralgique du pays. Si le Filou rêve de revenir au « pays des aigles », c'est probablement pour y squatter ses innombrables cafés. Le cauchemar des Albanais est palpable dans la Maison des Feuilles, symbole de l’occupation fasciste, puis siège de la Gestapo, enfin du régime stalinien d’Enver Hoxha. Trois cartes du célèbre jeu des Sept salopards ! Après les objets du NKVD à Kaunas, voici ceux de la Sigurimi (Direction de la sûreté de l’État) : c’est encore La Vie des autres que l’on espionnait ! Plus loin, nous sommes dans les entrailles gigantesques de l’un des 600 ou 700.000 bunkers construits dans le pays entre 1967 et 1985. Avec une casemate pour 11 habitants, la « bunkérisation » d’Hoxha poussa le pays à la ruine et révéla la paranoïa de son chef, hostile au bloc de l’Ouest, à l’URSS, la Chine ou l’ex-Yougoslavie. Isolé du reste du monde pendant 2 décennies ! La capitale est écrasée par un soleil de plomb, la température ressentie dépasse les 40. Est-ce la dernière de nos étés en Méditerranée, qui devient, année après année, un four estival ? Vivement les montagnes ! Celles-ci ne sont jamais très loin, car 70% du pays est montagneux, accidenté et difficilement accessible. C’est parfait pour produire massivement des stupéfiants (ce trafic représenterait 1/3 du PIB national en 2017) ! Ce n’est pas ici ni à Berat que l’on trouvera notre sceptre d’Ottokar, mais dans les Alpes nord-albanaises, car le trésor du pays est - assurément ! - sa longue chaîne de montagnes qui nous tend les bras. « La Syldavie, c'est l'Albanie. Il se prépare une annexion en règle. Si l'on veut profiter du bénéfice de cette actualité, c'est le moment ou jamais » écrivait Hergé à son éditeur. Il faudra de la patience pour y arriver. Autant que celle de Gjorg pour rallier la kulla d’Oroch dans le roman d’Ismaël Kadaré (Avril brisé, 1982) ?
Nous voilà au sommet de la colline de Mangalem à admirer les boucles de l’Osum qui traverse le centre-ville de Berat. Les ruines de la citadelle se font l’écho du passé de toute l’Adriatique : Illyriens, Romains, Byzantins et Ottomans, Théodose et Justinien ont façonné les murs de la citadelle qui renferme un village plutôt romantique. Les vieux retraités, entre hommes, ont sorti les échecs. En 2015, ma cheville fragile ne m’avait pas permis de randonner autour de Shkodër. Un ferry nous transporte dans le cœur sauvage d’un pays autrefois enclavé. On y rencontre un Kosovar-Albanais installé en Suisse ; pas étonnant, lorsque l’on sait que plus d’un tiers des ressortissants albanais vivent à l’étranger. Les jeunes élèves Kosovars ou Albanais de Suisse font-ils, comme ceux de Maghnia, le signe de l’aigle pour faire dégoupiller leurs camarades Serbes ? Avant de rejoindre le voisin monténégrin, nous marchons le long de la vallée de Valbonë sur les magnifiques sentiers des Alpes dinariques et rallions le col de Valbona (1.759m), avant de redescendre à travers les pins pour rejoindre le village dégueulasse de Theth. Avant de rallier notre auberge du bout du monde, nous nous enfermons quelques instants dans une tour de claustration » (la kulla), dont l’utilisation fut décrite précisément dans le Kanun, le droit coutumier albanais. Dans Avril brisé, le maître explique la vendetta, l’honneur du clan, la besa, la « reprise du sang » : « Gjorg Berisha a repris le sang de son frère » peut-on lire. « Mon honneur m’est plus cher que ma vie » ajoutait Cervantès. Sérieusement ??!!
On rejoint Podgorica, une capitale dont on se demande ce qu’elle a à offrir. Après un rapide tour dans le centre historique, il est l’heure de faire des recherches dans un restaurant réputé de la ville. « Visiter Podgorica » sur un moteur de recherche nous fait réaliser que nous avons presque déjà tout vu. C’est bien laid et on s’y fait, très vite, chier ! Entourée par des collines et montagnes, la ville annonce toutefois ce que seront nos étouffantes journées monténégrines. Heureusement, nous avons l’atout Maghnia, reine de la mgila avant d’être celle des pipoca ! Après avoir suivi le joli lac de Shkodër, un train remonte le pays ; c’est l’opportunité d’observer les paysages. C’est tout simplement splendide ! De Berat au sud de la Bosnie, en passant par le Monténégro, n’y a donc que relief montagneux dans les Balkans, ce concept dont je défie tout géographe de me le définir avec précision ? En longeant le parc national de Biogradska gora, les canyons semblent plus nombreux les uns que les autres. Depuis notre cabane squattée par un amour de chaton nommé Mitsi, nous poursuivons notre recherche des montagnes noires, en direction du P.N. du Durmitor, ce massif karstique qui culmine à 2.523m d’altitude. Son lac « noir » est de toute beauté. C’est l’heure du stop. Un Allemand baba cool, des New-Yorkais du Queens, puis des voisins pantinois nous permettent de rallier nos objectifs que sont le Durmitor ou le monastère d’Ostrog. Au Monténégro, c’est la gloire aux Volkswagen nouvelle génération. À Theth, nous croisons même le Mystery Machine, le VW LT 40 de Scoubidou. Longue vie aux vans ! Le pouce levé, nous rallions ainsi Ostrog, un monastère orthodoxe serbe taillé dans la roche. Il rappelle Amorgos (Grèce). Le lieu saint abrite les reliques des Hospitaliers et surtout celles de Saint-Basile qui sont conservées dans une chapelle taillée dans la falaise. Des pèlerins orthodoxes et catholiques, venus parfois pour guérir, sont en pleurs. Du monastère, la plaine de Bjelopavlici est majestueuse.
Nous rallions Cetinje, l’ancienne capitale royale située à l’entrée du Lovcen. L’objectif est de rejoindre, avec les moyens du bord, le mausolée de Petar Pétrovitch-Njegos, le Prince-évêque qui disait que le Monténégro était « le saint temple de la gloire serbe et le nid des Serbes ». Le début du nationalisme serbe ? Un couple de jeunes autoentrepreneurs Français (Sofia et Thibaut) a pitié de ces 2 auto-stoppeurs piégés par la fournaise d’un après-midi balkanique… Merci à vous et bon courage pour votre projet pro ! Les hauteurs du Lovcen permettent une vue majestueuse sur le lac de Shkodar, un Monte-« negro » ma foi bien vert(doyant), le Durmitor ou les bouches de Kotor, notre prochaine étape. Depuis le promontoire qu’est la route qui serpente jusqu’à notre hôtel, la vue est belle sur les 4 golfes intérieurs. Heureusement, car le trafic automobile est insupportable. Contrairement à ce que je pensais toutes ces années, aucune origine glaciaire n’explique la formation de la baie. Eh non, ce n’est pas un fjord, tout simplement une série de canyons reliés par de profondes passes ! À Kotor, l’opération « stop » se termine avec ce couple d’Israéliens qui colonise la route comme si lui elle lui appartenait… Ici, nous commençons notre remontée d’une côte adriatique insupportablement surpeuplée. Disney(land) aux pays des Dalmates !
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