Mai 2023
C’est avec un vieux film de John Huston que l’île de Malte m’est devenue « familière ». C’était l’époque où mes parents nous montraient, mes sœurs et moi, les vieux classiques américains, ceux de Sturges, de Curtiz, les polars et les westerns. Parce que j’admirais le couple Bogart-Bergman, Le Faucon Maltais était un must. Maghnia débarque avec Huda Beauty, son groupe de besties du collège Lucie Aubrac de Villetaneuse dans le pays de Joe Sacco, la figure emblématique du BD-journalisme. Je vous encourage vivement à lire son travail sur la Palestine, Gaza ou l’ex-Yougoslavie. Quelques instants après l’atterrissage, les filles sont choquées par le nombre de migrants du monde indien vivant dans l’île et un peu par la langue qui mélange arabe, italien et anglais, moi par des bus bondés qui ne s’arrêtent que rarement, et par un trafic automobile bouillonnant. Ce ne sera pas le cas des filles qui vivent des trajets moins stressants. Pour maximiser son temps de visite, Team Huda Beauty a loué des quads, ce moyen de locomotion du diable qui fait chier tout le monde à Gozo ! Pour moi, c’est un enfer de circuler à travers une île bien trop densément peuplée (1.400 hab./km²). 300.000 véhicules sur 316 hab./km², peut-on faire pire ?! Et pourtant, les Maltais sont enclins à ajouter toujours plus de constructions à un pays déjà très urbain. Il faudra donc oublier vite le calme attendu. Par la force de l’histoire, les Anglais, presque en territoire (re)conquis, sont très présents : croix de Saint-Georges sur le drapeau, vieilles cabines téléphoniques, pubs et horribles fish and chips ! Les filles n’en’ont cure, elles qui se régalent de chai latte et optent pour la gastronomie italienne, les pastizzi (une pâte feuilletée triangulaire à base de ricotta) ou le ftira, ce pain farci (aux olives, pommes de terre, tomates, anchois, thon ou fromage, câpres, oignons) à l’origine repas de campagne des bergers de Gozo. Ah, la cuisson au four à bois…, est-il possible de donner plus de saveur à une pâte à pain ? Si vous voulez en boucher un coin vos besties, essayer de retenir « jinbiegħu bħall-pastizzi »… « Se vendre comme des Pastizzi », une expression qui collerait parfaitement à un autre film de John Huston : L’Honneur des Prizzi bien sûr !
Ici, il y a donc le soleil et la mer certes, de jolies campagnes, mais Malte me déçoit à de nombreux moments du voyage. D’ailleurs, comment ne pourrais-je pas l’être à échouer de jour en jour à la recherche des traces d’un héros fait d’aquarelles ou de fusain ? Je parle de ce gentilhomme de fortune enfanté par la niña de Gibraltar pardi ! Corto Maltese est nulle part, sa jolie maison de La Valette où il songe à Utopia de Thomas More qu’une fiction prattienne. Des années plus tard, j’ai le seum lorsque Maghnia me montre la photo d’un bar à son effigie. « Kwaaaaaa ??? J’ai manqué ça !!!!! » Il est toutefois facile de profiter des beautés d’une capitale fondée par les Chevaliers de l’Ordre de Malte de Saint-Jean de Jérusalem après leur victoire contre les Ottomans lors du Grand siège de 1565. Mes déambulations m'emmènent jusqu’au fort de St Elmo, à The Great Harbour, les Trois Cités dont la belle Vittoriosa, Marsanxott. La ville transpire l’histoire de cette chevalerie en croisades. L’Ordre religieux, placé sous la protection papale dès 1113 et qui accueillit en son sein Le Caravage, servait d’hospice et d’auberge pour les pèlerins et croisés en route vers la Terre sainte. Mon hébergement situé sur la côte nord, à deux pas de San-Pawl il Baħar (baie de Saint-Paul), est légèrement moins haut en gamme que celui des filles. C’est le deuxième voyage de Maghnia et Sarah après leur long weekend qatari du début d’année. Lorsque c’est pour Sarah et Nawel, les poches de la Belle sont pleines, lorsque c’est pour son chéri, c’est ceinture ! Les filles, vous n’avez pas aimé l’imqaret, la version low cost des maqrut… Cheh ! La baie est mise en avant dans les Actes des Apôtres lorsque Luc relate le naufrage de Saul, devenu Paul de Tarse, pendant son voyage d’évangélisation de Césarée à Rome. À Malte, « les habitants lui témoignent une humanité peu ordinaire » (Actes 28:1-2) et lorsqu’il fut transféré à Rome pour y être jugé, on apprend « que l’île fut appelée Melita », personnification de Malte et de son peuple.
Ainsi, Malte suinte l’Histoire, des temps néolithiques à aujourd’hui en passant par le christianisme primitif. C’est déjà ça ! Relais méditerranéen rêvé avec ses ports naturels, l’île a accueilli une colonie phénicienne, les Grecs (VIIème-Vè s. av J-C), Carthaginois (480 av. J-C), Romains (Ier siècle), Aghlabides (IXè), Normands (XIè), Siciliens (XIIè) ou Ostrogoths (Moyen Âge). Sous Charles Quint, le pape Clément VII fit de Malte un fief des Chevaliers de l’Ordre de Malte dès 1530. L’île fut aussi un lieu important du commerce esclavagiste lorsque Arabes et Berbères mirent en esclavage les Maltais chrétiens. Aujourd’hui, l’île est connue par Sarah et Nawel, fans de Games of Thrones, la série que rêve de m’offrir mon pote d’enfance Ju. Mon amour pour l’histoire me fait donc apprécier les journées passées ici bien que la nature maltaise ne soit pas à la hauteur de mes espérances (Golden Bay, Xlendi Bay, les falaises de Dingli…). L’ancienne capitale Mdina, la « ville du silence », est, quant à elle, superbe. Pour les filles, c’est leur meilleur souvenir, celui du prieuré Saint Dominique de Rabat également. Je les comprends, car c’est magnifique ! À Marsaxlokk, les bateaux de pêche, ornés de l’œil d’Osiris, scintillent sur les eaux méditerranéennes. Je m’en vais également visiter les vieux temples néolithiques d’Hagar Qim et mégalithiques de Mnajdra du 4è millénaire av. J-C. Mégalithes de 20 tonnes, statuettes, temples taillés pour recevoir les rayons du soleil lors des solstices, c’est la journée Unesco !
Voici l’île plus paisible de Gozo. Selon une légende, celle-ci est identifiée à l’île de d’Ogygie où la nymphe Calypso retient Ulysse prisonnier. Ici, la Méditerranée n’est jamais très loin tout comme sa célèbre trilogie (la vigne, les oliviers, le blé). Lapin, soupes, ragoûts relevés d’herbes, de câpres, d’olives, aljotta (pain à l’ail), fromages, marinades, fenek, raujul (feuilletés), morue, lampuki, le tout accompagné d’une Cisk Lager ou d’une Hopleaf Ale bien fraîche ou d’un petit vin local fort agréable, ma foi la cuisine de Gozo est fameuse. Ici, les figuiers de Barbarie, tamaris, acacias ou les champs en terrasses façonnent une île charmante et calme. Dans les campagnes mâtinées de farmhouses, je suis choqué par ces innombrables coins de nature prêts pour la chasse aux oiseaux. Voici salines d’une époque antique et tours de guet. Puis Dwejra et ses formations rocheuses sculptées qui invitent à la contemplation. Sa célèbre Fenêtre d’Azur s’effondrera quelques mois plus tard au pied du Blue Hole et de son arche souterraine. Team Huda Beauty n’aura donc pas la chance de voir cette curiosité naturelle, jadis touristique. Un tunnel relie également la haute mer à ce lagon intérieur lové au sein d’un demi-cercle rocheux en forme de cratère. Le lieu parfait pour s’essayer au snorkeling comme dans des baies de Marsalforn, Ramla, San Blas… Jadis, nul doute que des pirates méditerranéens se cachaient dans ces petites anses où, aujourd’hui, on y fait bronzette ! Les jolis jeux de lumière sur les roches sous-marines ne suffisent pas à satisfaire mes attentes. Les méduses, rascasses et une magnifique pieuvre dans les eaux sublimes du lagon de Comino non plus. L’île désertique qui accueillait les malades du choléra et des prisonniers est superbe. Cominotto y fait face. La durée trop courte de leur séjour ne permet pas aux filles de s’aventurer sur ses terres. Falbala, Kim et Quasimodo, leurs trois sacs à dos aux noms bizarres, ne seront restés que quatre petits jours dehors. C’est pourtant la Méditerranée que j’aime plus que tout et qui donne envie de découvrir, à chaque incursion, ses innombrables îles et archipels...
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