Juillet 2022
Me voilà de retour à Rio de Janeiro trois ans après le Rio ne répond plus des quarante ans de l’ami Philippe ! Chaque voyageur à ses références : pour Maghnia, voir Rio c’est samba et carnaval, pour moi c’est bossa-nova, Belmondo dans L’homme de Rio et James Bond combattant Requin sur la cabine de Pain de sucre (Moonraker). Maghnia a choisi une auberge dans les hauteurs de la favela« pacifiée » de Vidigal. Les voitures extérieures étant interdites, nous montons à l’arrière de deux motos à l’assaut du moro pour rejoindre notre camp de base. Elle nous permet aisément de rejoindre les fiefs des Cariocas aisés que sont Leblon et Ipanema, devenue mythique avec la magnifique chanson d’Antônio Carlos Jobim et Vinícius de Moraes (The Girl from Ipanema) et qui connue un âge d’or dans les années 1920 à 1950 avec les artistes, progressistes et intellectuels de la ville, et les stars hollywoodiennes. La fille d’Ipanema est « tall and tan and young and lovely » et quand elle marche « she's like a samba » ! Dans Un château à Ipanema, Martha Batalha décrit la Cidade Maravilhosacomme « belle et dangereuse, riche et très pauvre, moderne à certains endroits et d’un autre siècle partout ailleurs » puis écrit « que d’impressionnantes collines avaient les pieds dans l’eau et que la forêt se dressait là où finissaient les faubourgs ». Celle-ci, Tijuca, est la plus grande forêt urbaine du monde et domine la baie, les plages, une nature luxuriante peuplée de singes, notamment ces petits capucins (des ouistitis) que l’on croise en redescendant d’un Christ Rédempteur en partie dans la brume. Au pied de la sculpture de trente-huit mètres, on aperçoit Zone Norte et un autre monument du pays, le Maracanã. Les deux plages mythiques sont surplombées par les pics jumeaux des Deux Frères. Notre longue marche passe par le somptueux point de vue qu’est Ponta do Arpoador. Si près de la ville et pourtant si loin, cachés par les broussailles et de sauvages rochers. Puis le long de la populaire et encore plus célèbre Copacabana. Sur ce croissant de lune de quatre kilomètres qui mélange habitants des favelas, sportifs, classes moyennes et touristes, il n’y a que courbes ; c’est le royaume du futvolley, de l’agua de côco et des botecos. Le Copacabana Palace de 1923 de style Art déco fait presque tâche au milieu de ce microcosme carioca. Nos balades de long de mer se poursuivront à Botafogo puis Flamengo, des noms forcément connus des amateurs de futebol. Si l’architecture de la ville est loin d’être dingue, Rio possède un trésor, son site naturel peut-être unique au monde. C’est un peu Marseille, Le Cap ou Sydney et leurs environs exceptionnels. Nous voilà au bord de la lagune, dans le quartier du jardin botanique, à Humaíta, dans l’aquário du Parque Lage à déguster quelques pão de quejo en compagnie de Juliana, team EF Cambridge de Maghnia, ou près des arches de Lapa. Un autel « vaudou » probablement à Eshu (un Orisha – esprit d’origine africaine –), des outsiders à côté de la plaque, des échoppes de rue avec des snacks de mauvaise qualité, Lapa est un peu Babylone, mais le quartier bohême de Santa Teresa et les fameux escaliers Selarón ne sont pas loin. Et surtout, on y boit des caïpirinha en écoutant de la samba !
Le temps des missions est venu. Celle de rejoindre Ilha Grande, le paradis de l’ami Dani, pour commencer. Si près sur la carte… Depuis Abraão, nous ferons des balades dans cette jungle qui se termine inéluctablement sur de belles cascades ou des plages cartes postales (Pouso ou Lopes Mendes). Il ne s’agit pas d’être piégé par les créatures d’une nuit qui arrive bien vite, par les singes hurleurs par exemple. S’il fait 25°, nous sommes en hiver ! Ainsi, les bateaux-taxi nous ramènent chaque soir dans la charmante bourgade qui accueille, par chance, un festival de musique. L’île fut jadis un repaire de pirates, puis accueillit une léproserie et à Dois Rios, l’ancienne prison politique citée dans La cité de Dieu. On aime la grande île bien qu’il soit si cher d’y bien manger. La Costa Verde, ce couloir littoral vert et luxuriant le plus souvent enrobé par la forêt tropicale atlantique (Mata Atlântica) est franchement superbe. Paraty, à quelques kilomètres, offrira une étape parfaite sur notre route pour Sāo-Paulo. Construite en 1667 suite à la découverte de l’or du Minas Gerais, elle témoigne d’une architecture coloniale de toute beauté avec son fort, ses trois églises centrales (une pour les mulâtres, une pour les esclaves, une pour les blancs), mais aussi ses influences asiatiques ou africaines (moucharabiehs). Ici, soldats, flibustiers, esclaves, colons écrivirent une histoire du Brésil, une histoire de la liberté également pour ces esclaves en fuite qui formèrent l’un des premiers quilombo. En soirée, la marée haute lave les rues de la vieille ville.
São-Paulo, la plus grande métropole de son hémisphère, est à quelques heures de route. Toujours prêts à honorer une mission ! Le centre-ville est le repaire des miséreux qui campent partout, à Praça da Sé et ses alentours. C’est choquant. Elle me rappelle la misère de Kolkotta, c’est dire. J’enverrais ce message à Nicolas qui adore cette métropole : « une pensée pour celui qui aime une ville qui sent la pisse ». Et il me répondra, « j’ai été halluciné par la dégradation de la ville en dix ans ». Si la ville me révulse, on s’occupe activement avec Maghnia. Architectures audacieuses (travaux de Niemeyer, édifice Martinelli, theatro municipal …), centre culturel japonais, expositions photos à la fondation Moreira Meirelles, statue de Zumbi de Palmier, festival traditionnel, musée Afro-Brasil, collection de peintures de maîtres au MASP, balades à vélo au parc Ibirapuera, il y a beaucoup à faire à Sampa, mégapole chantée par Caetano Veloso, ce maître de la bossa nova que j’ai découvert adolescent. De nuit, l’autoroute qui traverse une partie de la ville est fermée pour permettre aux sportifs ou aux piétons de s’en emparer et d’admirer d’immenses murs peints franchement impressionnants. C’est journée foot, car après la visite de son musée, nous voilà à nouveau en mission : il s’agit de trouver un billet pour l’Arena Corinthians, l’antre d’un club mythique, celui de Socrates, philosophe et footballeur citoyen en lutte contre la dictature. La Democracia Corinthiana ? Une utopie magnifique, une « expérience romantique » (1) ! Malgré un adversaire de piètre qualité (Coritiba), le spectacle de tribunes animées par les Gavioes da Fiel vaut son pesant d’or. Avenue Paulista et rue Oscar Freire, nous observons attentivement les passants. Si cela n’est pas aussi clair que dans un court reportage de Brut, décidemment à côté de la plaque, ces rues sont principalement empruntées par des classes moyennes et supérieures blanches. Dans un pays où la mixité est la plus élevée de la planète, les discriminations raciales semblent bien ancrées. Cette mixité est apparente dans le quartier japonais de Liberdade ou dans une gastronomie libanaise ou italienne très importante. La pizza paulista ? Une institution ! Avant de quitter la ville, nous visitons le Páteo do Collégio rebâti à l’identique. C’est ici que deux jésuites fondèrent en 1554 la cité. C’est d’ailleurs sous le signe des Jésuites que nous poursuivrons notre voyage.
Foz de Iguaçu nous attend. C’est un trajet de nuit de dix-huit heures qui nous attend ! Cela vaut bien une mission que de se rendre dans le Parana, à la frontière de la région des Misiones. C’est ici que les missionnaires Jésuites fondèrent dès le XVIème siècle des Réductions, ces villages chrétiens peuplés par des indigènes devenus sédentaires. Rien n’est trop beau pour l’évangélisation ! Nous sommes en pays guarani, celui du maté de coca appelé aussi thé des Jésuites. C’est en Argentine que la mission de San Ignacio permet de se rendre compte du travail abattu par la Compagnie de Jésus. À Itaipu, le terme de colossal prend tout son sens. 7,8 kilomètres de long, 196 mètres de haut, l’équivalent en béton d’une deux-voies reliant Moscou à Lisbonne, ce sont les chiffres fous du barrage qui se tient devant nous. Géré par Itaipu Binacional, il fournit 80% de l’énergie du Paraguay… Nous prenons la direction des « grandes eaux », lieu sacré d’inhumation Tupi-Guarani et Paragua. La source des montagnes du Paraná et du Santa Catarina, le Rio Iguaçu, serpente sur 600 kilomètres recevant nombre d’affluents avant de se précipiter en 275 cataractes étagées, sur une distance de trois kilomètres. Accueilli par un groupe de capoeira, l’émotion est encore plus forte que lors de la découverte du somptueux Mission de Roland Joffé, elle est immense… On en pleure ! Grandioses, fabuleuses, extraordinaires, il n’y a pas de mots pour décrire le sentiment qui nous empare à la vue de ces chutes venues d’un autre temps. Devant le spectacle hallucinant du vol de ces milliers de martinets à tête grise plongeant dans Garganta del Diablo, Maghnia dit vivre un Voyage au centre de la Terre. Nos héros James Bond (Moonraker), Indiana Jones (Le crâne de cristal) ou Black Panther sont passés par là ! Les deux jours (côté brésilien puis argentin) sont une expérience hors du commun. L’eau, l’air, la vie (des coatis, sapajous noirs, biches, échassiers, geais acahe, phrynops hilarii, perroquets) ! Avec six millions de litres par seconde, on comprend mieux que Léonard de Vinci disait que « l’eau est la force motrice de la nature ». Iguaçu, monstrueux, tout simplement ! Nous terminons cette première partie de voyage à Puerto Iguazú : chimichurri, dulce de leche, alfajor et maté, pas de doute, nous sommes en Argentine et prêt pour une nouvelle mission !
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