Février 2024
En prélude de notre voyage débuté dans l’antre de celui qui prêcha le panafricanisme (Kwame N’Krumah), nous voilà à l’avant-première parisienne de celui qui chantait « Africa Unite. How good and how pleasant it would be (...) To see the unification of all Africans ». Bel idéal mais bel échec… Dès notre arrivée à Accra, nous savons que l’humidité, mêlée à la chaleur supportable, rendra le voyage difficile. Charlotte comprend, de suite, que ce voyage sera celui de la résolution de problèmes quotidiens. Accra semble surpeuplée et avec une circulation intense. Il a fallu lutter pour obtenir le visa ghanéen. Un peu plus pour – après annulation de dernière minute – trouver trois lits de disponibles non loin du centre à un tarif acceptable. N’Krumah fut inspiré par W.E.B. Du Bois, ce militant américain des droits civiques précurseur de la négritude qui inspira, avec Garvey, le panafricanisme du premier président du pays (les « États-Unis d’Afrique »). Du Bois terminera sa vie ici. Sur les murs du mémorial, on lit « I am not African because I was born in Africa, but because Africa was born in me. » Le premier soir, on nous sert une soupe de poisson gargantuesque trop épicée et peu appétissante. Charlotte commence sa découverte de la cuisine ouest-africaine, accompagnée d’un coca ! Pendant ce voyage, je la soûlerai mille fois pour boire ce soda – parfait pour le système digestif d’une babtou fragile – et mettre sa casquette. Relou le tonton !
Vous l’aurez compris, une première boucle nous emmène dans les paysages togolais et béninois. Un très long chemin doit nous emmener de Grand-Popo à Kumasi, la capitale du royaume Ashanti. À l’aller, nous goûtions des yovo doko, ces beignets bourratifs à base de farine de blé. Sur le bord des routes, des marchandes – parfois des enfants – portent de lourdes charges sur la tête. En nous sifflant, elles tenteront de nous vendre quelques agapes, mais aussi tout et n’importe quoi pour quelques cédis. Car ici, point de francs CFA, cette monnaie de la honte issue du système colonial ! Le trajet bien long, fait étape à deux frontières. Les douaniers regardent des vidéos humoristiques pendant que les taxis collectifs viennent faire leur marché face aux douaniers… Il faut le voir pour le croire ! Comme l’écrit La Mamma, « c’est l’Afrique mon frère !!! » Depuis Accra, Kumasi n’est plus très loin... Le minibus s’arrête constamment pour vider un coffre qui ne ferme pas ou désengorger un toit bondé. Il nous faudra six heures, ajoutées aux huit précédentes, pour arriver dans l’auberge parfaite, minuit passé. La propriétaire y a installé un atelier de couture qui emploie des femmes payées à leur juste valeur. Elles travaillent le kente, un tissu multicolore au caractère sacré. Charlotte et moi sommes exténués alors que Maghnia semble au top de sa forme. Dans la nuit, la petite prend le retour de flamme d’une semaine sur les routes de latérite et à manger des aloko. Entre sa blessure et sa nuit de « souffrance », la vérité est que je suis un peu inquiet… Petit Ours me rassure, alors que Rodrigo n’arrête pas de la surnommer « babtou fragile ». Elle est juste un peu fatiguée me dit-elle. Nous sommes là pour l’Akwasidae, le festival qui a lieu toutes les six semaines et célébré par le peuple Ashanti. Le roi, entouré de sa cour, est là. Je suis, moi-aussi, KO et à la recherche d’un bon coca bien frais. Merci John Pemberton d’avoir créé cette boisson qui m’a, souvent, sauvé la vie ! Les tambours sont de sortie et la cérémonie est une mise en scène du faste royal. Pendant que des touristes occidentaux venus dans un car climatisé – la pizza à la bouche – se comportent comme s’ils étaient au zoo, des personnes de l’assistance offrent des litres d’alcool à un souverain qui rend le change. Le lendemain, pendant que Charlotte se repose, Maghnia et moi découvrons un temple akan, la religion animiste d’un peuple qui s’est également christianisé. Dieu créateur suprême, déesse-mère et esprits sont les lignes directrices de leur croyance. En redescendant vers Cape Coast, la highlife tourne à fond. La musique de la région est une jolie fusion entre highlife, hiplife et afrobeat. Celle-ci a bien changé depuis son maître Fela Kuti. Elle me fait parfois penser à de la dancehall jamaïcaine. J’adore ! Quand la musique n’est pas là, les cars passent des films de l’univers Ghallywood qui ont l’air bien merdiques. Lors de 1.850 kilomètres de voyage, nous croisons un nombre absolument hallucinant d’Églises. Chrétiens, musulmans, Témoins de Jéhovah, protestants, évangélistes, Chrétiens célestes de Porto-Novo qui s’interdisent tabac, alcool ou consommation de porc, Dieu est ici décidément partout. Nietschze n’a donc jamais visité l’Afrique ! On est chrétien le matin, vodoun le soir. Dans Royaume du Dahomey, Christian Dedet décrit bien le sens de ce syncrétisme : la messe est pour gagner le ciel, alors que le vodoun est pour rendre hommage aux ancêtres. Quant au Ghana, il a la particularité d’abriter une forte communité rasta qui doit être la seule à fumer (même du tabac) dans la région. La cigarette ici, on ne connaît pas ! Ainsi, nombre de bus affichent le drapeau éthiopien, le Lion de la tribu de Juda, la figure de Hailé Sélassié. Jah Rastafari !
Cape Coast est le centre névralgique des Fantis. Sont-ils l’une des innombrables ethnies du continent ? Celles-ci sont remises en cause par Elikia M’Bokolo qui évoque des constructions coloniales ; Georges Balandier préfère parler de « sociétés de traditions ». L’auberge de Kenya, notre logeur rasta qui fume de la weed dès le matin, domine la partie de la ville la plus intéressante. Nous partons à la découverte de l’ancienne feitoria (comptoir portugais) coloniale fortifiée, témoignage majeur de la Côte de l’Or. Ici, comme à Elmina, nous sommes dans Les tams-tams de l’Afrique, la chanson parfaite d’I Am pour enseigner la traite Atlantique, à une exception près : l’absence du rôle joué par les tribus africaines, rôle justement mis en lumière par Olivier Grenouilleau (Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, 2004). La maison de couleur pastel de l’île de Gorée fait pâle figure face aux deux forts que nous visitons. Si au Sénégal, seul le symbole compte, la vérité historique est ici prégnante. Les geôles immenses font froid dans le dos. Des familles, le plus souvent américaines, ont disposé des couronnes de fleurs en l’honneur de leurs ancêtres. Les sensations sont les mêmes dans celui d’Elmina, premier comptoir européen dans le golfe de Guinée ; celui-ci était portugais.
À Elmina, nous marchons dans un marché qui pue la mort. On y vend des poissons, posés à même le sol, aussi appétissants que ceux d’Abraracourcix ! Une femme, qui pensait être filmée, m’en jette un à la figure. Sur cette Gold Coast, les mystiques sont partout. Comme cet homme rencontré sur une plage d’ordures au sortir du marché de Cotonou. « There's a natural mystic blowin' through the air. If you listen carefully now you will hear » chantait Bob Marley dans Natural Mystic ! Quand ce n’est les rastas, ce sont les Asafo, ces groupes de guerriers qui émergent dès le XVIIIème siècle. Un chauffeur s’arrête un instant pour nous permettre de visiter un lieu de culte dont le sol est couvert de poil d’animaux sacrifiés. En pénétrant sur la terre sacrée, deux hommes arrivent très en colère en nous expliquant que nous avons commis presque un crime. C’est un peu l’histoire de Passepartout pénétrant dans un temple parsi chaussé ! Ils nous menacent, nous mettent une pression dingue, semblent agressifs… L’achat d’une chèvre, d’un coq et d’alcool semble être la seule solution issue de secours. Après 1.001 excuses, on nous libère de nos chaînes. Nous pouvons donc admirer la canopée du parc de Kakum, grâce à ces ponts suspendus au-dessus de la jungle. Un must ! Nombre d’Américains doivent venir ici, après le retour aux sources. Certains sont mêmes restés, notamment ces Jamaïcains devenus rastafaris. Elles ont ainsi donné du sens à la prophétie « Back to Africa ! » de Marcus Garvey… Au retour de Cape Coast, une coupure d’électricité nous fait cuisiner ital avec Kenya. Le retour du courant est une délivrance et signifie la ventilation de la chambre ! Alléluia !
Maghnia est toujours à la recherche d’un masque ancien. Est-ce possible ? Elle me dit avoir entendu sur Arte qu’il n’y a plus rien à acheter en Afrique, car toutes les belles pièces sont en Europe. Au marché artisanal, elle nous dégote un masque gèlèdé (yoruba) de toute beauté. Point de masque ashanti malheureusement ! Avant de revoir Barima, l’ami d’enfance de Petit Ours, il nous reste deux missions : la première est le mémorial W.E.B. Du Bois, également sociologue qui fut le premier Afro-américain a obtenir un doctorat. Le musée est bien pourri, et pourtant Teddy s’y passionne. C’est toujours son cas lorsqu’il s’agit de visiter des lieux culturels, musées, bibliothèques ou lieux de mémoire ! Nous tenons aussi à voir Kantamanto, le plus grand marché de fripes du monde. C’est un labyrinthe gigantesque qui recycle toute la merde textile venue de Chine, de Corée du Sud, d’Europe. Ainsi, le monde envoie ici ses déchets, que ce soit vêtements ou ordinateurs… Des cloques transforment les deux dernières journées de marche de Charlotte en souffrance. Elles s’infecteront au contact de la transpiration et de la poussière. Elle transpire tellement que les sparadraps ne tiennent pas. « Roh putain c’est chaud. RIP Tonton Tanguy ! Ta sœur va te défoncer ! » me texte l’ami Kévin. Maghnia et moi avons hâte de rentrer. Je multiplie les références nostalgiques à l’Asie… « On a compris que l’Asie c’était le paradis tonton » me dit Charlotte. Quant à Rodrigo, il nous saoule avec des plus des « Jen a marrrrrrr !!!! » de plus en plus fréquents ! Barima – le « seul » homme d’Accra à Porto-Novo qui doit porter des lunettes ! – nous a donné rendez-vous dans un resto de gastronomie locale : apapransa, mportor mportor, salade ghanéenne, bœuf angwame, waakye, kelewele, tatale, aboboi, aboloo, akyeke ou soupe okro, en deux petites heures, il m’est presque possible de goûter toute la nourriture ghanéenne selon ses propres mots. La gastronomie française nous appelle… Il est temps d’annoncer la bonne nouvelle aka de montrer les blessures de guerre de Charlotte à ses parents !
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