Octobre 2022
Team « Un chai dans l’Annapurna » s’est chauffée en suivant les exploits des stars du trail, le docu Netflix sur Nims Purja, le film d’Herzog sur Reinhod Messner, les livres de Sylvain Tesson ou Jon Krakauer. Nous serons onze à partager cette aventure en montagne, trois porteurs, deux guides et nous six. Pour l’heure, il s’agit de rejoindre Pokhara, la deuxième ville du pays. Ici, tout respire la randonnée et l’alpinisme. Y-a-t-il un autre endroit au monde où les montagnes s’élèvent aussi vite et passent de 1.000 à plus de 7.500 mètres ? Avec son lac de montagne, c’est un peu Annecy… en un peu moins classe. Sur les bords du lac Phewa, voici un Disneyland de fortune. La vue est impressionnante sur le Dhaulagiri, le Manaslu ou la chaîne des Annapurna. Avec ses nombreux cafés, ses librairies et l’agréable front du Phewa Tal donc, cette ville me plaît. Ce fut le cas il y a quelques années déjà lorsque j’avais affronté, avec un Espagnol nommé Ernesto, les quelques heures de marche pour monter à Poon Hill (3.210 mètres) qui offraient un panorama hallucinant sur les sommets enneigés du mont Gangapurna, de l’Annapurna Sud, de l’Annapurna I, du Dhaulagiri et du Hiunchuli. Les escaliers de montagne m’avaient presque autant cassé les jambes que la terrible montée depuis Aguas Calientes jusqu’au Machu Picchu. Puisqu’il pleut sur la ville, espérons que les montagnes soient dégagées. Nous prenons la route pour Jhinu Danda puis c’est l’heure : « zam zam » pour le camp de base de l’Annapurna !
La première étape jusqu’à Sinuwa ressemble à une tranquille petite balade de montagne. Rien de bien méchant. Ce sera d’ailleurs le cas tout au long de notre semaine himalayenne. Je m’attendais à être sérieusement dans le dur, il n'en est rien. Les sentiers sont balisés, les villages nombreux, la nourriture de qualité, les logements plutôt confortables. Nos trois jours de randonnée au Kirghizistan sont à des années-lumière. Quid des routes du Tadjikistan ou du Pakistan ? Encore pire, j’en suis sûr. Le soir, c’est le plus souvent momos, le midi des nouilles ou du riz sauté aux légumes, sans oublier les nombreux chais qui n’ont pas la saveur des breuvages indiens. Peu avant Bamboo et la pause déjeuner, des escaliers bien merdiques proposent un premier défi cardio. En pensant au retour, nos premières pensées négatives font surface. Le soir à Dovan, un groupe de Népalais que nous recroiserons se mettent à chanter au son d’une guitare. Les premières vues sur les sommets de plus de 6 ou 7.000 mètres sont bientôt devant nous, dont le préféré de Myriam, le Machapuchare (6.993 mètres). Son double sommet identifiable de loin, nous suivra tout au long des jours suivants. « Fish tail » par ci, « queue de poisson » par là. Considéré comme sacré car demeure de Shiva, il est par conséquent interdit aux alpinistes. Sur la route vers l’Annapurna Base Camp (ABC), on s’amuse Maghnia, Morgan et moi à s’imaginer les paroles d’une chanson sur le hit des Jackson Five. Sortiront quelques couplets et un refrain. Petit aperçu :
« Les Sherpas ont mal au dos.
Et nous on s'gave de momos
Des sacs à dos. D’35 kilos
Y’a des salauds. Soyez plus réglos !
ABC, follow the way of Rabhi
Get some energy, drink lassi
ABC, Annapurna III ! »
Les sentiers sont loin d’être déserts, pleins d’Européens, d’Indiens et de Népalais. Et de nombreuses mules ! La fin de la mousson ayant été tardive, les randonneurs de début octobre ont rejoint ceux de la fin du mois et de début novembre. On croise un nombre très important de « sherpas » qui ravitaillent auberges et villages, portent d’énormes charges, les sacs à dos d’alpinisme ou des randonneurs du dimanche. Nous en faisons partie. Je le regrette encore. Seront-ils bien payés ? J’espère, je doute. Quelques jours plus tard, j’apprendrai que non. Au prix où nous avons payé le trek, je suis amer, fâché même par un guide qui, à mon sens, n’est pas très honnête. Nos avis divergent c’est sûr et ébrèchent notre cohésion d’équipe. Tous pourtant, nous avons un immense respect pour le travail titanesque des porteurs, sherpas ou non, de ces hommes des montagnes qui quittent trop longtemps leurs familles pour arpenter les sentiers abrupts et s’abîmer la santé. Leurs visages sont marqués ; ils font beaucoup plus que leur âge. Pema ouvre la marche, suivi de Jules, Maghnia qui avance à toute vitesse, Morgan qui m’impressionne, et moi. Un peu plus loin, Rabhi ferme la marche en compagnie de Myriam. Erwann, au milieu, se joue des pentes sans problème. Chaque jour, nous rallions le sommet de South Annapurna qui semble si proche. Avec ses 7.219 mètres, c’est pourtant l’antre du yéti, Le Sommet des Dieux.
La montée vers Deurali à près de 3.000 mètres est une formalité. Le froid a enveloppé nos corps la nuit précédente. En sortant de la douche, c’est la tuile. Ma cheville, ouverte sur quelques centimètres, saigne. Si le tendon n’est pas touché, je dois abandonner l’objectif ABC. Mes comparses montent sans moi et me racontent. Je suis heureux pour eux et pour Maghnia, qui fera l’aller-retour à une vitesse éclair. Heureusement qu’elle est là pour me remonter le moral. Combien de grimpeurs ont échoué à gravir les sommets qu’ils s’étaient fixés pour des problèmes de météo, de mal des montagnes, de froid, de condition physique insuffisante ? Déçu mais pas abattu ! Je retournerai un jour dans l’aire de conservation de l’Annapurna, probablement pour randonner sur les sentiers du Mustang, une région bercée par la culture tibétaine. Trois jours, c’est le temps qu’il faut pour redescendre. Le premier jour, il n’y a que lenteur et souffrance, les yeux fixés sur ma jambe, nullement sur les paysages. Le lendemain, ayant été bien soigné, ça va mieux. Si longue redescente fait travailler comme jamais mes genoux douloureux, les cultures en terrasses offrent de très beaux panoramas. Nous traversons des villages, et professeurs de géographie que nous sommes, nous tentons de comprendre et de décrypter les activités humaines que nous observons. Vive la géographie empirique !
Nous retrouvons vite Pokhara puis Katmandu de longues heures plus tard. C’est le temps des derniers achats, des doudounes North Fake aux bols chantants en passant par ces très belles peintures de méditation. Notre dernière soirée est festive, notre dernière matinée mystique ! Nous montons les 365 marches qui nous mènent aux yeux du Bouddha de Swayambhunath, le Temple des singes. C’est ici que ces débiles de hippies venaient se shooter sans aucune discrétion. « Les voyages sont le paradis des fous » avait déclaré Ralph Waldo Emerson. Pendant que des hordes de singes déambulent dans ce lieu symbolique, des centaines de pèlerins tournent autour du stûpa principal dans le sens des aiguilles d’une montre. La ferveur est impressionnante, Maghnia et moi sommes fascinés ! Plus tard, nous voilà dans la cour du Kumari Gar pour assister à la venue de Kumari Devi, la déesse vivante vénérée, en réalité une fillette hautaine choisie dès ses trois ans… Lorsqu’elle aura atteint l’âge de la puberté, elle aura perdu son statut, son air hautain, et devra revenir à une vie normale. Dur ! Au sortir de ce voyage, cette maxime me revient en tête : « la religion, c’est l’opium du peuple ».
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