Juillet 2021
Les ferries en direction de Rhodes font escale à Pigadia, la ville principale de Karpathos, une île qui forme un petit archipel avec ses proches Saria et Kassos, l’île de beaucoup d’entre-nous ! Après avoir pris nos marques dans la petite bourgade, rien de tel qu’un scooter pour découvrir une île. Il nous permet de relier le village de Menetes puis une plage carte postale : Agios Nikolaos… Encore lui ! Nous poursuivons vers le nord et Mesochori en croisant de nombreuses chapelles orthodoxes qui font, le plus souvent, face à la mer. Le village est construit à flanc de colline, notre ballade devient rapidement harassante. Le scooter nous permet de traverser l’île d’ouest en est à travers le massif du Kali-Limni (1.215 mètres), le myth(olog)ique lieu de naissance des Titans. Le massif divise l’île en deux : une zone boréale assez désertique, une autre irriguée à plus forte densité de population au sud. Peu avant Olympos (et non pas Olympie !), nous bifurquons en direction de la somptueuse plage d’Apella avec un réservoir d’essence en souffrance. Des rochers, peut-être vomis par Ouranos lors de la Titanomachie, donnent du relief à un paysage cristallin. Outre les géants que sont les Titans, Gaïa a enfanté sur Karpathos le très joli village de Diafani. Son petit-fils Zeus aurait dû demander à Éole de libérer ses vents et d’offrir à ce bout de terre un peu de fraîcheur. Ainsi, des moulins à vent ont été construits par les villageois au sommet des « falaises ».
En plein milieu d’une route de montagne, c’est la panne ! La faute à qui ? Après une cagade de Maghnia, c’est la première galère de la journée. Nous la terminons au mieux en compagnie de Pépé Falafel dans un bar vieillot où il chante sirtaki ou zembekiko, une danse réservée à un seul danseur masculin. Les ami(e)s du pépé boivent ouzo ou vin crétois un peu âpre. Sofia représente cette diaspora de Karpathos revenue récemment au « pays » et deux Néerlandaises ont pour amour les alentours de Buis-les-Baronnies ! Comme la Crète, Karpathos possède une histoire riche des grandes civilisations méditerranéennes (minoenne, mycénienne, romaine, byzantine, sarazine, vénitienne puis ottomane) et fût citée par Homère (dans L’Iliade), mais aussi par les grands Virgile, Pline l’Ancien ou Strabon le maître de tous les géographes. Nous restons bloquer à Diafani la venteuse par la faute d’une maladresse et de la rareté des ferries. Lorsque nous nous échappons, la mer est agitée et le trajet pour Rhodes ressemble à un moment de souffrance. Nous débarquons dans une île qui m’a toujours fascinée, la faute à la dernière planche de Fables de Venise (1977). En franchissant les portes d’une porte secrète vénitienne, Corto Maltese se retrouve sur les quais de Rhodes et bascule dans une nouvelle aventure (La maison dorée de Samarcande, 1980). Reprenant ses esprits, il part à la recherche des notes grecques de Lord Byron caché « sous la lune de la mosquée Kawaly », en fait la mosquée de Suleiman qui marque le début de notre dernière semaine dans le Dodécanèse. Boucles à la minoenne et « profil grec », Cassandre - l’amie du Maltais - lit l’avenir dans le marc d’un café (noir) grec si réputé. Honte à nous de l’honorer uniquement frappé et sucré !
Nous avons posé nos sacs dans les intérieurs de la cité balnéaire de Faliraki. C’est au sud que se trouve la baie Anthony Quinn qui porte le nom du géant d’Hollywood à la suite du tournage des Canons de Navarone. Faliraki est sans charme et sa plage bondée. Une trentaine de kilomètres plus au sud, Lindos c’est autre chose ! Fondée par les Doriens, l’une des quatre ethnē majeures de la Grèce antique (avec les Achéens, les Ioniens, les Éoliens), elle est écrasée par un soleil de plomb. Le chemin qui mène à l’Acropole est noir de monde. Cela vaut-il la peine de monter voir le sanctuaire dédié à Athéna Lindia et Héraclès ? C’est toujours la même histoire : la crainte de rater quelque chose ! À ce prix-là, on aurait aisément pu s’en passer. Nous remontons la côte sous le vent pour rallier la cité médiévale, celle des Chevaliers de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem. Le parfum des Croisades et de l’Orient n’est plus très loin, la Turquie à quelques kilomètres, les Terres Saintes à deux pas. Après l’expulsion des croisés de Jérusalem, l’ordre militaire hospitalier s’installa à Chypre avant de conquérir Rhodes. L’Ordre édifia ainsi d’impressionnantes murailles, rempart de la Chrétienté contre les Sarrasins, le palais des grands maîtres et les « auberges », résidences organisées par langue pour les chevaliers/croisés. Nous pénétrons dans la belle Auberge de France avant de partir à la recherche de quelques traces d’un quelconque colosse ! C’est la déception, car nulle part ou presque il est mention de la merveille antique. Ce fut pourtant la septième merveille du monde bordel ! Depuis Rhodes, nous rallions Santorin, l’iconique île des lunes de miel et, depuis peu, des instagrammeurs merdiques. Nous sommes en plein mois d’août, c’est donc plein de touristes. Mais que ses deux villages carte-postale sont beaux. Depuis ma première visite, elle n’a pas changé d’une once et c’est toujours un bonheur que de relier escaliers, terrasses et points de vue sur la falaise, le volcan, la mer. L’insupportable chaleur ne nous permet point d’en profiter, c’est bien dommage. Il faut, en effet, se cacher des brûlures du soleil des heures durant et profiter, au mieux, des heures les moins chaudes de la journée… à savoir pas avant le coucher du soleil. Un calvaire !
Nous rallions Athènes dans un ferry qui pue le gazoil et casse la tête. La chaleur excessive ne permet pas de profiter d’une ville millénaire que je n’ai jamais aimé et, cet été, plus que vulnérable aux feux qui ravagent les Balkans. Malgré quelques belles découvertes comme le stade olympique ou les restes moisis de l’Académie de Platon et d’Aristote, je n’y arrive pas. Au moment de partir, une immense fumée se rapproche dangereusement de la capitale. Est-ce un signe ? La fille de Philippe II de Macédoine nous attend. C’est en l’honneur de son épouse Thessaloniké que Cassandre fonda la cité. Sur la route menant à Thessalonique, le vent de l’Histoire vient à nous : nous longeons la plaine des Thermopyles où eut lieu, en 480 avant J.-C. l’une des plus célèbres batailles de l’Antiquité… Ici, sept mille hoplites et les 300 Spartiates de Léonidas tentèrent de contenir les soldats de l’armée perse de Xerxès Ier, à la recherche d’un territoire achéménide encore plus puissant. Lisez-donc le beau roman graphique de Frank Miller ou faignéants, reportez-vous sur la mise en image de Zack Snyder ! Plus au nord, nous aperçevons de loin le domaine des dieux. Le mont Olympe : check ! Hommage à sa demi-sœur ou célébration de ses conquêtes, la royale statue d’Alexandre le Grand, cambré sur un Bucéphale plus célèbre que Jolly Jumper et Spirit réunis, domine le port de Thessalonique. Le monument enseigne au badaud que phalanges et sarisses ont, jadis, fait la gloire d’Alexandre. Plusieurs siècles après, Soliman le Magnifique a, lui aussi, marqué la ville de son empreinte. La Tour blanche, célèbre prison et lieu d’exécutions de masse durant la période ottomane, se détache du panorama du front de mer. Avant de rallier la Bulgarie voisine, il y a tant à faire : longer la mer Égée, admirer « l’or des Macédoniens » - symbole d’une civilisation riche de nécropoles richement décorées - au musée archéologique, visiter la maison de naissance de Mustapha Kemal futur Atatürk, rallier les vestiges des remparts médiévaux puis se perdre entre les escaliers, les rues pavées et les belles maisons du quartier ottoman d’Ano Poli (la « vieille ville ») ou encore chasser les traces de la Macédoine spirituelle. Au musée juif, nous apprenons que Thessalonique fut surnommée la « Jérusalem des Balkans » avec sa communauté de vingt-mille Séfarades chassé d’Espagne. Plus tard, que la ville fut l’un des berceaux du christianisme primitif et qu’elle est inscrite au patrimoine de l’Unesco au titre des monuments paléochrétiens et byzantins… Porte des Balkans, capitale de la Macédoine, place forte ottomane, Thessaloniki est tout à la fois ! C’est aussi une ville rebelle, du Z de Vassilis Vassilikos (porté à l’écran par Costa-Gavras en 1969) à la naissance des superbes rebetiko interdits sous le régime autoritaire. Thessalonique, Naí (oui). Athènes, óchi (non). Quid de Sofia ?
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