Avril 2023
En attendant les chaleurs estivales, nous saisissons l’opportunité de vadrouiller sur les routes printanières des pays baltes. C’est dans la ville qui marqua la fin de Noir Désir que nous commençons notre remontée des territoires situés à l’est de la mer Baltique. Le marché de Halle, étonnamment calme, marque le début d’une trilogie (Lituanie, Lettonie, Estonie) agrémentée d’un triangle gastronomique pommes de terre-choux-betterave. Le borsch, cette soupe froide rafraîchissante, on adore ! On enfourche des LemonGym, des vélos pas vraiment adaptés à l’ambiance Paris-Roubaix qui nous attend, pour découvrir la vieille ville baroque. À l’entrée de la République d’Uzupis, la micronation dirigée par un président détenteur du pouvoir à vie et d’une reine élue chaque année, nous nous attendons à une ambiance bohème à la Christiana ou à la République de Montmartre avec laquelle elle est jumelée. Si les 41 articles de la constitution sont cocasses (« le chien a le droit d’être un chien », « l’Homme a le droit de pleurer » ou « de ne pas avoir peur »), la république autoproclamée le 1er avril 1998 est une (presque) mauvaise blague. La vérité, Uzupis, quartier sans charme gothique de briques rouges, tu fais un peu de la peine !
À Trakai, nous découvrons un château médiéval et surtout l’existence d’une communauté juive, les Karaïtes, opposée au judaïsme rabbinique et à la Torah orale. On se régale de l’incontournable kibine, un beignet salé fourré. Des Juifs partisans d’une exégèse personnelle et d’une égalité des sexes, et légèrement plus ouverts que ceux d’Unorthodox, on m’aurait menti ! Dans un monde si vaste, chaque jour est une petite découverte. À Kaunas, une ville à l’ADN basket, nous chassons les murals réalisés lorsque la ville était capitale européenne de la culture. Des maisons en bois nous ramènent dans un passé soviétique ou dans notre auberge impersonnelle. De jour en jour, notre voyage ressemble à Back to U.S.S.R : « Hey, I'm back In the U.S.S.R / You don't know how lucky you are, boys / Back in the U.S.S.R ». Nous rejoignons le mémorial des victimes du fascisme. « À cet endroit, les nazis et leurs assistants ont tué plus de 30.000 Juifs » peut-on lire. En face, le Neuvième fort fut utilisé comme lieu de sévices par le NKVD, l’organisation de destruction de tous types d’opposition au régime soviétique et de mise en place de la terreur. Nous voilà surtout dans l’un des anciens bunkers du KGB. Dans l’un des sous-sols d’une zone industrielle bien merdique, c’est la caverne d’Ali Baba. Pour nous, amoureux de l’histoire contemporaine, la cave grouille de trésors. Au point de ne pas regretter nos 100 balles de visite privée ! La collection d’objets de marchands juifs de Kaunas côtoie des inventions qu’aurait aimé créer le retraité Q ou ceux soucieux de La vie des autres ! On y trouve aussi la plus grande collection de masques à gaz du continent, notamment ceux de la minisérie géniale d’HBO : Chernobyl. Ah, les années 30 puis la guerre Froide, Une époque formidable !
J’engloutis quelques plats traditionnels (cepelinai, kugelis, d’incontournables soupes, ragoûts ou boulettes de viande) ou un balandeliai, une version locale des feuilles de vigne farcies des Ottomans, avant de rejoindre Klaïpeda pour un retour aux plus belles heures de la Hanse. Le froid nous conduit dans une auberge à la découverte des mets de la région (le kvas – une boisson de seigle fermentée –, la Svyturys, l’excellent maquereau cru ou d’excellentes saucisses). Au centre-ville, de belles maisons à colombages entourent un théâtre du XIXème siècle qui accueillit Richard Wagner, mais aussi un speech du petit moustachu vénère des années 30. Nous traversons le détroit de Memel à bord d’un bac pour une journée dans l’isthme de Courlande. La belle promesse de balades à vélo dans une zone naturelle protégée, habitat du lynx et du wapiti, n’est pas tenue. Le vent souffle fort sur les routes qui traversent l’étroite bande de sable qui s’en va vers l’oblast de Kaliningrad. Sur le territoire de l’ambre, nous rejoignons la Colline des sorcières et sa centaine de sculptures de chêne offertes aux divinités. Les pistes cyclables ouvertes couvrent à peine un tiers de notre trajet ou sont couvertes de cailloux qui cassent le cul, et les rares cafés sont fermés. Misère... L’histoire de la Lituanie nous retient quelques jours encore. Il fait un froid de canard au bord du lac Plateliai. Pas de quoi nous décourager de rejoindre la base de lancement de missiles nucléaires de Plokštinė. Planquée dans les forêts denses du parc national de Žemaitija, la base secrète fut habitée par 300 personnes. Visite en mode 007 du temps de la guerre Froide !
De son riche passé religieux, on retiendra de ce pays le paganisme, ses minorités Tatars musulmans, orthodoxes ou les Litvaks, ces Juifs lituaniens exterminés lors de la Shoah et qui ont compté Marc Chagall ou Golda Meirdans dans leur rang. Le pays fut surtout la dernière terre christianisée d’Europe. Nous rejoignions la Colline des croix, lieu de pèlerinage archi populaire par excellence. La route vers Tallinn traverse la Lettonie et fait escale à Riga, la perle de la Baltique. Nous repassons devant la Maison des Têtes noires, les lieux de culte luthériens et repensons au superbe marché central, situé dans d’anciens hangars à zeppelins. Toujours aussi belle Riga ! Sur tous les bâtiments officiels et monuments flotte le drapeau ukrainien. Ces nouveaux états ayant quitté depuis longtemps la sphère d’influence russe au profit de l’OTAN, cette organisation qui n’a plus lieu d’être, s’agit-il d’un réel soutien aux peuples opprimés ou un sentiment antirusse ? La glasnost ou la peretroïka, et surtout la Révolution chantante des années 1986-1991 sont passées par là. Accueilleront-ils de la même manière les réfugiés d’Afrique ou d’ailleurs ? J’en doute. Nous sommes désormais dans la société numérique la plus avancée du monde, celle qui compte le plus de licornes par habitant dans le continent (Skype, Bolt…). Quelques heures plus tard, nous posons nos sacs dans un quartier cossu de Sigulda, l’une des rares villes au monde à posséder une piste de bobsleigh. Sur les rives de la Gauja, un parc national est orné de châteaux – dont certains teutoniques – et de pistes de randonnée qui débouchent dans des grottes qui content des légendes ou des lieux de culte païen. Nous choisissons Tartu comme ville étape. Nous sommes, peut-être, dans la capitale culturelle et intellectuelle d’une Estonie plus proche de la Finlande que des deux autres pays baltes. Leur culture est commune (le sauna, le droit d’accès à la nature, la mythologie, la culture du silence, la langue), l’influence germanique et scandinave identique. Quelques heures à Cēsis suffisent à admirer l’un des nombreux châteaux forts qui nous ramènent à l’époque des croisades baltes, menés contre les païens de Prusse, Livonie et Lituanie, par les chevaliers Porte-Glaive, « ordre des Frères de l'armée du Christ », qui promouvait un sacré moment de fraternité entre les peuples ! Lors de la visite du château, nous découvrons le hnefatafl, un jeu de stratégie viking. Carlotta, ma petite spécialiste de Thorgal, le connais-tu ? Lors de ce voyage, je suis à la recherche constante de bières locales pour compléter ma stupide collection. Pas facile d’être cervalobélophile dans un pays qui limite l’achat d’alcool certaines heures et certains jours… Eh oui, vous passerez peut-être pour un savant lorsque vous sortirez ce mot en société ! Nous sommes surtout à la recherche d’une quelconque chaleur. Le soleil a disparu depuis trop longtemps et la chaleur humaine plutôt de glas(nost) ! J’aurais aimé être enthousiaste…, mais partout où l’on passe, les sourires sont peu nombreux, les « bonjour », « au revoir » ou « merci » rares, les portes jamais tenues. On essaye de positiver : c’est dans leur culture…, mais bon, ça fait vraiment chier ! De plus, les populations se ressemblent. Sont-ils Baltes, Polonais, Finnois, Ukrainiens ? De mélange il n’y a pas. Vive les peuples méditerranéens plus métissés et aux caractères plus « vivants », chaleureux, parfois extravertis !
Tartu abrite la plus veille université du pays, centre régional de la philosophie des Lumières, des musées et de vraies bonnes bières locales dont la brasserie Pühaste. Enfin quelque chose d’intéressant, alléluia ! Le Musée national, impressionnant bâtiment de verre et de béton, se révèle une coquille presque vide. Implantée sur les bords d’une rivière, la ville fut l’un des centres d’échanges majeurs de la Ligue hanséatique. Est-ce Tartu vaim (« l’esprit de Tartu ») ou le joli quartier de la colline du Dôme qui ont séduit Myriam et son chéri ? Ou peut-être l’impressionnante église paroissiale Saint Alexandre-Nevski ? Si le climat continental humide continue de nous gâcher nos vacances, nous avons foi en Tallinn, dernière étape de notre voyage. C’est bientôt l’heure du banya, le sauna traditionnel russe, un bain à vapeur chaude. Seule Maghnia, chanceuse, assiste au fouettage des corps avec des branches séchées de bouleau et de chêne. Protégés par la baie de Tallinn, des bateaux déversent les passagers en provenance de l’amie finnoise ou de Stockholm. Riche et prospère, la ville médiévale fut un centre du commerce du sel et peuplée par de nombreux immigrés allemands. Rodrigo n’en’a cure, lui qui ne pense qu’à tester Hesburger, la chaîne de restauration finlandaise ! À Tallinn, la boucle hanséatique est bouclée. Si la ville fut bombardée, à plus de 50%, par l’aviation soviétique pendant la guerre, on ne perçoit rien de cela. La ville est belle, ses remparts en très bon état. Le golfe de Finlande offre une ouverture vers le monde. C’est ici qu’eurent lieu les régates à la voile des J.0 de 1980, ceux de Moscou boycottés par Team USA. Les Soviétiques feront de même 4 ans plus tard à Los Angeles… Une crise ridicule de plus du temps de la guerre Froide ! Sur le port, le musée maritime présente de superbes navires, un sous-marin nucléaire ou un brise-glace. En journée, nous voilà à Telliskivi Poetanav, quartier hipster par excellence. C’est l’antre du street art, des galeries d’art, des cafés bobos gluten free ou vegan à la con. Comment rénover intelligemment les anciennes friches industrielles sans que la gentrification s’accompagne de boutiques de créateurs aux objets hors de prix ? Nous nous éloignons pour rejoindre le Depeche Mode baar, classé dans le top 10 du Lonely Planet des bars/restaurants les plus bizarres du monde. Weird indeed ! Sur le chemin de notre auberge de cas soc’, nous comprenons que tout achat comportant du plastique est ici taxé ! Nos bruyants voisins puent l’alcool et la connerie au point où le petit roquet, à l’haleine de tord-boyaux, me menace avant de taper du poing sur la porte de notre chambre. Il s’est pris pour Ivan Drago, mais avec son physique poids-plume, ses yeux injectés de haine ressemblent plus à ceux d’un caniche agressif qu’à Eyes of the tiger ! Ah, la légendaire chaleur humaine balte ou nordique. Nous avons hâte de retrouver notre chez-nous... « Douce France ♪♫♪… »
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