top of page
Photo du rédacteurCoolinClassic

Voyage culinaire en Egypte


Ce joli sourire sur le coin de ses lèvres aurait dû m'alerter. Mais la descente du long fleuve avait creusé mon estomac. D'une alerte mâchoire, je nettoyais mon assiette. Chaque fois, j'avais droit à une nouvelle louche de succulentes fèves. Honnies par les grands prêtes, elles avaient cuits à feu doux durant l'obscurité. Avec sel, poivre, une touche de cumin. Pour honorer ses invités, la cuisinière les avait assaisonnées au beurre. Avec oeuf dur écrasé. D'habitude, elles s'ingurgitaient tièdes, arrosées de vinaigrette, accompagnées des oignons verts qui soignent le mauvais oeil. J'ai craqué à la cinquième. La coquine avait tu ce détail. Liquider sa gamelle est signe d'appétit.


Au pays des pharaons, j'avais pourtant fort longuement écouté la causerie gastronomique. Arlette (1) m'avait expliqué, par exemple, cette interminable succession d'influences depuis l'horrible nuit où l'excitante Cléôpatre embrassa le serpent. « Chaque colonisateur a apporté ses traditions, et ses produits, m'avait enseigné l'égyptologue gourmand. les gens les ont adaptés. » Avec elle, j'avais dégusté la bessâra. Un très vieux plat. Où trônent, bien sûr, mes fèves. Décortiquées et concassées, elles mijotent avec ail, oignon, coriandre fraîche. Servi froid, ce met se rehausse des lamelles frites de ce bulbe qui provoque les larmes, et d'un brin de piment.


Nous avions ensemble admiré les mortiers. Le mignon, en bronze, pour piler noix, amandes, ou safran. Et le gros, en granit ou en marbre, utilisé pour les légumineuses, les viandes, les brassées d'herbes. J'avais regardé le farran enfourner les montagnes de pain. Iles diffèrent par leurs formes, et leurs farines utilisées. Chacun aura le sien. Arlette m'avait également conté ce mulet gardé dans la saumure. On s'en délecte pour la fête du printemps. Je savais aussi le sacrifice du veau ou du mouton pour marquer les moments importants. Quand il s'agit de pleurer l'être cher, le voisinage s'en mêle, il prépare les repas chaque jour de la semaine. Pas de bruit pour dans la maison du mort. Et puis, « on est trop triste pour réussir les recettes ».

Kuchari, le plat national


J'avais aussi compris que si le couscous n'existe pas, une cousine prenait sa place, la moghrabiyya, à base de semoule. En cette journée d'été, mon maître de conférence m'avait permis de savourer la téhina. Une drôle de sauce. Elle accompagne toutes sortes de légumes, des pois chiches, aux aubergines, que l'on aime au four, farcies avec la pulpe, et filet d'huile d'olive, en passant par les lentilles. Elle peut aussi se décliner sur les poissons, ou s'apprécier seuls avec persil haché. Ce curieux ingrédient provient de la pression du sémane. Après la pression de l'huile, subsiste une pâte brunâtre. « Quatre cuillerées à soupe, m'avait confié Arlette, une pincée de sel et un citron pressé ». Si possible tiré de ces benzahêr parfumés, qui se conservent dans le vinaigre.


Dans les basse-cours j'avais vu poulets, oies, canards, pigeons, cailles. Les Egyptiens les apprécient grillés. Et les gavent, de tout temps. « Même l'hippopotame y est passé », avait souri Arlette devant le plateau de pâtisseries miellées et de boissons fraîches, sirops, jus, infusions de pétales de fruits rouges. Je me rappelle le kahlta. Reviennent amandes, raisins secs et cannelle. Un peu d'eau. Au premier frisson, du riz. Le liquide s'évapore sur la flamme légère. Casserole fermé, on patiente un quart d'heure. Un régal pour oublier ma sympathique mésaventure. Demain, la table juive.


Boisson pour la cuisine égyptienne : rouge méditerranéen ou alcool de dattes

Dans ses yeux, les images défilent. Une prend le dessus. Des amphores posées à côté de la momie d'un pharaon. En entrouvrant le bouchon, senteur d'épices. Un vin épais, assez lourd. Ici, la vigne est une séculaire tradition. Elle se perpétue aujourd'hui. Les Grecs ont appris que les Egyptiens à s'occuper de la vigne. Ils l'ont enseigné aux Romains. Dans son verre, Philippe (2) admire un vin méditerranéen. Du grenache, ou du mouvèdre. Ou encore un spiritueux. Ce pourrait être un ratafia à base de canne à sucre, ou un alcool de dattes.


Jacques Teyssier,

Journaliste gastronomique pour CoolinClassic / Article paru dans le journal L'Humanité en août 1996

 

(1) Arlette Khoury-Tadié est professeure à l’Institut des langues et civilisations orientales (INALCO).

(2) Philippe Faure-Brac a été élu meilleur sommelier du monde en 1992.

15 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page